Comme le Coran ne contient pas de mythe de la création, l'islam a été jusqu'à maintenant relativement épargné par le créationnisme, une doctrine qui nie que l'homme descend du singe. Tout cela pourrait changer avec le succès d'un prédicateur et homme d'affaires turc, Adnan Oktar, qui distribue des centaines de milliers d'exemplaires de son encyclopédie créationniste à des professeurs de sciences des quatre coins du monde.

«La plupart des professeurs de sciences des écoles et des universités aux États-Unis, et plusieurs au Canada, ont reçu ces livres», affirme Jason Wiles, professeur de biologie et d'enseignement de la science à l'Université de Syracuse, dans l'État de New York, qui est à Montréal ce week-end pour participer à un colloque sur l'islam et le créationnisme à l'Université McGill. «Il a aussi inondé la France. Grâce à lui, seulement le quart des étudiants d'université en Turquie croient que le darwinisme est valable.»

Sous le pseudonyme de Harun Yahya, M. Oktar a publié L'atlas de la création, une imposante série de 14 volumes très grand format avec couverture de tissu bleu, pesant chacun 7 kg. Le premier volume fait partie de l'opération de distribution gratuite. L'oeuvre veut démontrer, photos à l'appui, que les fossiles d'il y a plusieurs millions d'années sont identiques aux animaux d'aujourd'hui, et donc que l'évolution n'existe pas.

Richard Dawkins, célèbre éthologiste britannique qui se fait volontiers le pourfendeur du créationnisme, a récemment analysé l'ouvrage dans le Wall Street Journal. Il relève qu'il confond anguilles et serpents, entre autres erreurs. Pire, une image montre une mouche qui est en fait... un appât de pêche dont l'hameçon de métal est manifestement visible.

«On peut se demander d'où vient le financement, dit M. Wiles. J'ai évalué que chacun des 14 tomes coûte un million de dollars à mettre au point. Ajoutez à cela des centaines de milliers d'exemplaires en une quarantaine de langues, et vous avez besoin de sources de revenus imposantes. Or, rien dans la carrière de l'auteur ne permet de penser qu'il peut financer tout ça à même ses propres fonds.»

Le Wall Street Journal rapporte que M. Oktar a eu quelques problèmes mineurs avec la loi en Turquie, où il a été notamment accusé de possession de drogue et d'extorsion envers un top-modèle. M. Oktar a indiqué au quotidien new-yorkais qu'il s'agissait d'un problème lié à la «dictature du darwinisme».

Chose certaine, il a un certain impact dans son pays d'origine. Le journal du Conseil de recherche scientifique turc a annulé un numéro spécial qui devait célébrer le 150e anniversaire de la théorie de l'évolution, et un site web dans lequel Richard Dawkins dénonçait l'ouvrage de M. Oktar a été bloqué en Turquie à la demande d'un tribunal de première instance. M. Dawkins a traduit sa critique en turc pour contourner l'interdiction.

Le créationniste turc fait aussi des disciples: à Rome, lors d'une conférence du Vatican sur l'évolution, au début du mois de mars, un membre de l'auditoire s'est présenté au micro en tant que neurochirurgien turc et a exposé les positions de M. Oktar sur l'immutabilité des fossiles, avec les exemples mis de l'avant dans l'ouvrage. Les organisateurs de la conférence ont interrompu sa tirade.

Détail intéressant, M. Oktar rend le darwinisme responsable de l'Holocauste, un événement que nient souvent les islamistes radicaux. «Pour les islamistes, le créationnisme est une manière d'attaquer l'Occident, dit M. Oktar. Ils ne s'enfargent pas dans les fleurs du tapis.»