Mario Bernier, 44 ans, est décédé d'un arrêt cardiaque dans la nuit du 6 janvier dernier, alors qu'il se trouvait seul dans son logement de Saint-Césaire. Avant de s'éteindre, M. Bernier avait lui-même alerté les services d'urgence, qui lui avaient assuré qu'une ambulance était en route. Il aura toutefois fallu 27 longues minutes avant que les ambulanciers n'arrivent. Un délai qui a été fatal, dénoncent ses proches.

"S'ils étaient arrivés plus vite, je suis convaincue que mon frère serait encore avec nous, lance Johanne Bernier. En tout cas, ses chances de survie auraient été meilleures."

Réunies chez l'une d'elles, les six soeurs de Mario Bernier vivent des heures difficiles empreintes de tristesse, mais surtout de colère.

"Pourquoi les pompiers ou les policiers n'ont pas répondu à l'appel?, soulève Lucie Bernier, outrée. La caserne de pompiers était juste à côté de chez Mario, ils seraient arrivés à temps pour le sauver."

"Saint-Césaire n'a pas de premiers répondants, c'est pour ça qu'ils ne sont pas allés", ajoute Diane Bernier.

C'est Nathalie Bernier qui, en pleine nuit, a été appelée pour se rendre à l'hôpital. C'est là qu'elle a appris que son frère avait dû attendre l'ambulance pendant près d'une demi-heure.

"Quand le docteur m'a rencontrée, elle m'a dit qu'elle n'avait rien pu faire. Que ça avait été trop long avant qu'il arrive", raconte-t-elle.

Les soeurs Bernier refusent toutefois de jeter le blâme sur le service ambulancier de Farnham.

"Ils ont fait ce qu'ils ont pu, reprend Johanne. C'est au système qu'on en veut."

Les horaires de faction en cause

Chez Ambulances Farnham, le service ambulancier qui est intervenu, on reconnaît que le délai de 27 minutes s'étant écoulé entre l'appel à l'aide lancé par celui-ci et l'arrivée des secours a été beaucoup trop long. En revanche, on nous assure qu'il était impossible de faire mieux.

"La nuit, nos ambulanciers sont de garde, explique Claire Laviolette, directrice du service ambulancier. Les ambulanciers étaient donc chez eux en train de dormir quand ils ont été appelés. Il a bien fallu qu'ils s'habillent et qu'ils se rejoignent avant de se mettre en route."

Selon Pascal Lapointe, superviseur chez Ambulances Farnham, cette situation a occasionné un délai supplémentaire de 11 minutes avant même le départ des ambulanciers vers Saint-Césaire et serait la résultante directe de l'application des horaires de faction, aussi appelés 7/14.

"Avec le 7/14, on part toujours avec un retard d'au moins dix minutes, déplore M. Lapointe. Quand on sait qu'il faut défébriler quelqu'un qui subit un arrêt cardiaque en dedans de huit minutes pour conserver des chances de le sauver, il ne faut pas se surprendre que cet homme soit décédé. Ce serait arrivé au coin de la rue à Farnham et on n'aurait même pas été certains de pouvoir le sauver. C'est vraiment dur pour nos ambulanciers de savoir avant même de prendre la route qu'ils ne pourront même pas sauver la vie de leur patient."

"Ceux qui sont intervenus chez M. Bernier sont encore sous le choc, ajoute M. Laviolette. Ils sont formés pour sauver des vies. Leur job, c'est pas de transporter des morts."

Mme Laviolette s'interroge aussi sur les raisons qui ont incité Alerte santé, l'organisme qui reçoit et retransmet les appels d'urgence, à faire appel à Ambulances Farnham plutôt qu'à Ambulances Demers, qui a le mandat de desservir la ville de Saint-Césaire.

"Je ne sais pas pour quelle raison ils ont fait appel à nous, se questionne Mme Laviolette. En ce moment, je me pose 36 000 questions comme ça."

M. Lapointe explique toutefois que, dans les cas où la vie d'un patient est en danger immédiat, c'est l'ambulance qui est géographiquement la plus proche du lieu d'intervention qui est appelée.

"Ils ajoutent un délai supplémentaire de 5 minutes dans le calcul du temps de réponse quand il s'agit d'ambulanciers sur des horaires de faction, dit-il. Mais on sait bien que c'est plus long que ça avant que les ambulanciers puissent se mettre en route. Il faut donc croire qu'aucune autre ambulance n'aurait pu être là plus tôt."

L'Agence de la santé et des services sociaux de la Montérégie devrait d'ailleurs étudier le déroulement de l'intervention pour tenter d'expliquer ce qui a pu se passer.

Abolir le 7/14

Les dirigeants d'Ambulances Farnham disent ne pas chercher de coupable, mais plutôt une solution.

Celle-ci leur apparaît toutefois fort simple: l'abolition des horaires de faction au profit de l'implantation de postes permanents qui permettraient d'avoir au moins deux ambulanciers en service en tout temps.

"Si on avait eu deux ambulanciers en attente dans leur véhicule ou à la caserne quand l'appel de M. Bernier est entré, le délai n'aurait jamais été aussi long, invoque Claire Laviolette. Je ne peux pas garantir qu'on l'aurait sauvé, mais les chances aurait été bien meilleures."

Pascal Lapointe se bat depuis longtemps pour l'abolition des horaires de faction. Il a d'ailleurs fait parvenir un document dénonçant les risques encourus par les citoyens couverts par un tel service ambulancier aux instances politiques sans jamais recevoir autre chose que des accusés de réception.

"C'est pas à l'Agence que ça va se régler, précise-t-il. Ils manquent de moyens. Il va falloir une véritable volonté politique pour faire changer les choses. Il va aussi falloir que le gouvernement mette l'argent nécessaire."

"C'est quand même triste, ajoute Mme Laviolette. Il aura encore fallu un mort pour espérer faire bouger les choses. Je suis bien heureuse que la famille de M. Bernier ait osé dénoncer la situation. Au fond, on réclame la même chose."

Éviter d'autres décès

C'est effectivement pour éviter d'autres décès que la famille de Mario Bernier a décidé de rendre sa triste histoire publique.

"Avant la mort de Mario, on ne savait pas ce que c'était un horaire 7/14, reprend Johanne Bernier. Maintenant on sait que les gens qui sont couverts par un service ambulancier 7/14 sont en danger."

"Il faut que ça cesse avant que d'autres personne meurent à cause de ça", ajoute sa soeur Chantal.

Les soeurs Bernier réclament aussi justice pour la mort de leur frère.

"On lâchera pas tant qu'on ne saura pas ce qui s'est passé, reprend Diane. S'il le faut, on ira même devant les tribunaux."