L'armée canadienne a commandé un sondage au coût de 158 891 $ à une firme d'Ottawa... pour se faire dire que les Canadiens aiment bien les soldats, selon les résultats obtenus par La Presse grâce à la loi d'accès à l'information. Des dirigeants de firmes de sondage du Québec trouvent le prix passablement élevé.

Le sondage remis à la Défense nationale en mars dernier contient peu de surprises : la majorité des Canadiens ont une impression générale positive des gens qui servent dans les Forces canadiennes. Les Québécois se démarquent par un appui aux dépenses et aux opérations militaires moins marqué que dans le reste du pays.

Une majorité de Canadiens croient que les Forces reçoivent un financement insuffisant (57 %), tandis que trois Québécois sur cinq pensent au contraire qu'elles reçoivent un financement à peu près convenable. Les Québécois sont moins nombreux à appuyer les actions du Canada en Afghanistan.

Les médias ayant déjà signalé ces tendances de l'opinion, il est difficile de voir ce que le sondage apporte de nouveau. La surprise se trouve ailleurs, soit dans le prix. Des dirigeants et des professionnels de trois firmes de sondage du Québec consultés par La Presse se sont montrés plutôt étonnés. L'un d'eux a qualifié le prix de « sucré ».

Le sondage a été réalisé par la firme Ipsos Reid auprès d'un échantillonnage représentatif de 3000 Canadiens âgés de 18 ans et plus du 1er au 13 février derniers. L'échantillonnage a été établi à l'aide du système de composition aléatoire. Les intervieweurs informaient les répondants que les entretiens, faits au téléphone, duraient une quinzaine de minutes, puis ils posaient 41 questions.

Ipsos Reid a aussi animé 10 groupes de discussion dans cinq villes. Les rencontres, réunissant huit participants chacune, duraient deux heures. Chaque participant était payé 80 $. La firme a ensuite compilé les résultats et produit un document de 116 pages. La Presse a tenté de parler à un porte-parole de l'entreprise, hier, mais sans succès.

Le prix du marché pour un tel sondage tourne plutôt autour de 100 000 $, ont indiqué les dirigeants et les responsables de trois firmes de sondage du Québec, hier. « Le prix de 160 000 $ m'apparaît passablement sucré », a dit l'un d'eux. «C'est un prix plutôt élevé», a dit un autre. « Ça paraît élevé, mais il est difficile de se prononcer de façon catégorique, sans connaître tous les détails », a dit un troisième.

Interrogée à ce sujet, une porte-parole de la Défense nationale nous a renvoyé au ministère des Travaux publics. « Le contrat dans ce cas précis constituait une commande subséquente à une offre de commandes, a dit Francine Langlois, porte-parole de ce ministère. L'offre à commandes a été établie dans le cadre d'un processus d'invitation à soumissionner concurrentiel. »

Ce n'est pas la première fois qu'un sondage accordé par le gouvernement conservateur étonne les observateurs. Le ministère de l'Environnement a ainsi payé 50 775 $ pour répondre à cette question : devrait-on changer le nom du «Service canadien de la faune» par « Service de la conservation et de la protection de la biodiversité « ? L'enquête, elle aussi commandée à la firme Ipsos Reid, a conseillé de ne rien faire.

Un rapport dévastateur a été publié l'automne dernier sur la boulimie de sondages. Le gouvernement conservateur a demandé à un chercheur, Daniel Paillé, d'enquêter sur la frénésie de sondages sous l'ancien gouvernement libéral de Jean Chrétien. M. Paillé a découvert que les conservateurs sont encore plus avides de sondages que les libéraux.

« Ils ont tellement peur de prendre des décisions que les sondages sont devenus une espèce de Bible », déclarait-il en commentant le sondage d'Environnement Canada. Le gouvernement de Stephen Harper a payé pour 546 sondages en 2007.

À la suite de ce rapport, le gouvernement a promis de modifier les règles pour diminuer ces dépenses de 10 millions cette année.

Avec la collaboration de William Leclerc.