Julie Bourque a 32 ans et trois enfants. Elle travaille dans le domaine de la santé. Son mari aussi. À la fin de sa vingtaine, le jeune père de famille a acheté une entreprise. Depuis, les affaires vont bien. Très bien.

Aujourd'hui, le couple fait partie des nouveaux riches, une catégorie qu'on retrouve de plus en plus au Québec, comme à Montréal. Deux voitures luxueuses sont garées devant sa maison de six chambres à coucher. «Elle est tellement grande qu'on s'y perd», blague Mme Bourque.

La mère professionnelle ne s'en cache pas. Son mari et elle ont vu leur vie changer rapidement. Ils sont passés d'une «petite maison louée» à un grand train de vie. Mme Bourque ne veut pas s'exhiber en arborant de grandes marques, mais elle se paie de «petits luxes» qui viennent compenser les longues heures passées au travail. Un styliste personnel, par exemple, s'occupe de lui dénicher des vêtements. Elle a une femme de ménage et quelqu'un qui s'occupe d'entretenir son terrain. «C'est pour avoir plus de temps et une meilleure qualité de vie», explique-t-elle.

Julie Bourque vient d'une famille de la classe moyenne. Son père travaillait dans la fonction publique et sa mère était à la maison. «Je n'ai manqué de rien. J'étais enfant unique et mon père m'a toujours dit: ton héritage, ce sera tes études.»

Son mari et elle ont travaillé fort pour arriver là où ils sont. «Nous avons fait notre chance en poursuivant nos études et en prenant le risque d'acheter une entreprise», dit-elle.

Si le couple est bien nanti, il est aussi souvent stressé. «Avoir une entreprise apporte beaucoup de nuits blanches», souligne Mme Bourque.

Et si le couple a travaillé fort pour réussir, il se sent parfois coupable d'y être parvenu aussi rapidement. «Nous sommes mal à l'aise, dit Mme Bourque. Nous suscitons de l'envie dans notre propre famille.»

La montée des nouveaux riches

Comme les Bourque, de plus en plus de Québécois accèdent à un train de vie de loin supérieur à celui de leurs parents. De 1999 à 2005, 461 000 familles canadiennes se sont ajoutées au cercle des millionnaires. Au total, il y avait 1,1 million de familles dont l'avoir net se chiffrait à plus d'un million en 2005.

«Des nouveaux riches, il y en beaucoup au Québec», lance Pierre Fortin, professeur au département de sciences économiques de l'UQAM.

À l'exception de l'Alberta, le phénomène est plus marqué au Québec que dans les autres provinces, souligne l'économiste. «La scolarité moyenne a augmenté beaucoup plus qu'ailleurs au Canada et c'est directement lié, explique-t-il. Il y a 40 ans, la moyenne de scolarité des 25-29 ans était de neuf ans au Québec et de 11 ans en Ontario; il est aujourd'hui de 15 ans dans les deux provinces.»

M. Fortin rappelle que les francophones gagnaient en moyenne les deux tiers du salaire des non-francophones dans les années 60. Mais depuis la Révolution tranquille, les Québécois rattrapent l'écart de richesse qu'ils avaient par rapport aux autres Canadiens. «Ça vient de notre évolution très rapide, de l'accès à l'éducation et de la croissance de l'entrepreneuriat québécois, explique M. Fortin. Avec l'avènement du Québec inc., de plus en plus de Québécois sont devenus propriétaires d'une entreprise.»

De l'argent gagné et non un héritage

«Les Canadiens à revenu élevé tirent de plus en plus leur revenu d'un emploi que d'autres sources», souligne une étude de Statistique Canada sur l'évolution de la richesse des familles, publiée en juin dernier.

En d'autres mots, la plupart des «nouveaux riches» ne sont pas issus de familles fortunées de génération en génération. Comme Mme Bourque, ils viennent de la classe moyenne. Ils ont obtenu un diplôme universitaire, ce qui les a menés à décrocher un emploi payant ou à réussir en affaires.

Dans un rapport paru en mai 2007, les services immobiliers Royal LePage concluent par ailleurs que ce sont «les nouveaux riches et non les anciennes fortunes qui propulsent la vente de maisons haut de gamme».

«Le travail assidu, et non le fait d'être bien né, voilà la clé de la fortune d'une maison luxueuse», peut-on lire dans ce rapport.

Cette conclusion vient d'un sondage Ipsos Reid mené auprès de Canadiens bien nantis. Près de la moitié des répondants ont cité le travail assidu comme principale raison de leur accession à la richesse, alors que seulement 4% d'entre eux ont indiqué le facteur familial.

«Il y a beaucoup de nouvel argent», confirme Jill Prévost, agente immobilière pour Royal LePage dans le secteur de Westmount. «Je vois des gens qui ont fait de l'argent dans le domaine de l'informatique. Aussi des financiers et des promoteurs immobiliers.»

Mme Prévost ne s'en cache pas. Son père et sa mère sont des nouveaux riches. Sa mère - et associée -, Joan Prévost, est devenue l'une des meilleures agentes de Royal LePage du pays. Quant à son père, Jean Prévost, il est l'homme derrière la compagnie FieldTurf, le numéro 1 mondial du terrain de sport synthétique. Aujourd'hui, FieldTurf est le fournisseur officiel de plusieurs équipes de football de la NFL et de la Ligue majeure de baseball.

«Mon père a démarré sa compagnie dans une petite chambre de notre maison», souligne sa fille.

À l'époque, les Prévost habitaient à Côte-Saint-Luc, mais ils tenaient à ce que leur fille fasse ses études à Westmount.

Est-ce que Jill Prévost est l'une des premières de la génération d'enfants des «nouveaux riches»?

Quoi qu'il en soit, elle discute ouvertement du succès financier de sa famille, alors que Julie Bourque (un nom fictif) est très mal à l'aise avec la réussite financière de son couple.

Mais Mme Bourque admet tout de même que, «si l'argent ne fait pas le bonheur, ça ne nuit pas».