Nos envoyés spéciaux Caroline Touzin et Martin Tremblay sont aux Gonaïves, ville durement touchée par quatre ouragans successifs. Aujourd'hui, ils témoignent d'une aide alimentaire d'urgence insuffisante. Ils ont aussi entrevu les stars Wyclef Jean et Matt Damon, chaussées de leurs bottes de pluie. Serrées les unes contre les autres pour ne pas se faire dépasser dans la file, elles étaient 1200 femmes à attendre depuis plusieurs heures, debout sous le soleil brûlant, pour recevoir une aide alimentaire d'urgence, hier matin, devant un lycée des Gonaïves. Le chanteur hip-hop Wyclef Jean et l'acteur américain Matt Damon, eux, y ont passé 10 minutes.

Cette distribution est faite exceptionnellement en plein jour pour les stars en visite éclair. Il y a quelques jours, pour limiter les violences, le Programme alimentaire mondial et CARE avaient décidé de faire leurs distributions au beau milieu de la nuit. La tension est palpable dans cette ville d'Haïti durement touchée par le passage de quatre tempêtes tropicales et ouragans en un mois.

«Grand gou»

Des Casques bleus armés et munis de boucliers antiémeute sont postés à l'entrée de la cour du lycée. Ils font entrer 20 femmes à la fois. Le lycée, entouré d'un mur de béton, est situé à l'écart de la ville. Idéal pour éviter les pillages et les débordements, de l'aveu d'un officier de la Mission des Nations unies pour la stabilité d'Haïti (MINUSTAH).

«C'est impossible de distribuer de la nourriture dans les rues en ville. Les gens sont trop nombreux pour ce qu'on a à donner», explique le lieutenant Maximilian Lance, un Casque bleu argentin. Une cinquantaine de Casques bleus sont postés aux quatre coins de la cour.

Lisette Aldus est l'une des premières dans la file. Elle est arrivée à 3h du matin. «J'ai tout perdu à cause des pluies», dit-elle. Un triste refrain récité depuis une douzaine de jours dans toute la ville. «Gran gou (J'ai très faim)», crient ses voisines dans la file. À 7h30, le soleil est déjà cuisant. La distribution commence. On joue du coude.

Seules les femmes peuvent faire la file. Les hommes, plus prompts à la bousculade, doivent attendre à l'extérieur que leur femme sorte enfin avec ses 50 kg de riz, son bidon d'huile à cuisson et son petit sac de haricots noirs. Certaines, âgées ou enceintes, doivent ainsi tirer leur précieux bien de peine et de misère vers la sortie. Quelques Casques bleus quittent leur poste de guet pour leur prêter main-forte.

Sans un coupon bleu en main, distribué la veille dans certains quartiers, il est impossible de recevoir de la nourriture. «On n'a pas su comment avoir un coupon, mais nous aussi, on a faim», a dit Acéla Debreis, qui s'est tout de même déplacée dans l'espoir de recevoir une ration. Peine perdue.

À leur sortie du lycée, quelques femmes généreuses redistribuent leurs denrées aux malchanceuses comme Mme Debreis. CARE, organisme humanitaire chargé de distribuer les coupons, a par ailleurs remarqué l'apparition de faux ces derniers jours.

Vers 8h30, un convoi de l'ONU arrive avec, à son bord, deux stars et des journalistes triés sur le volet. Vêtu d'une chemise militaire, Wyclef Jean sort du camion, suivi de Matt Damon, en jean et chaussé de grosses bottes de pluie. Le chanteur originaire d'Haïti et l'acteur américain poseront pour des photos en distribuant quelques haricots pour repartir aussitôt. Non sans interpeller la communauté internationale pour qu'elle s'engage à long terme à aider le pays le plus pauvre des Amériques, déjà durement touché par la crise alimentaire mondiale.

Tout le monde en Haïti connaît Wyclef. À la seconde étape de son court passage aux Gonaïves, l'ex-Fugees est attendu par des centaines de personnes massées dans le parc devant la cathédrale. «J'ai eu les larmes aux yeux en descendant de l'hélico. J'ai vu un petit garçon sans pantalon marcher dans l'eau. Quand je l'ai regardé dans les yeux, j'ai vu qu'il me ressemblait», a dit le chanteur à la foule en créole. «L'argent n'est pas arrivé. On a faim», lui ont crié des mécontents. Avant de regagner le convoi, la star, encouragée par la foule à grands cris de «à pied», a modifié son horaire pour marcher dans une rue encore inondée parmi une foule nombreuse, dans l'eau jusqu'aux genoux. Au grand dam de la sécurité.

Pendant ce temps, à l'autre bout de la ville, la distribution alimentaire n'était pas encore terminée. La prochaine se déroulera de nuit, loin des projecteurs. Wyclef Jean et Matt Damon seront retournés depuis longtemps aux États-Unis, les pieds au sec.