« 1 1/2 appt.-hôtel, TV, s-bain privée, air clim, tél., Internet, stat., 199 $ par sem., 639 $ par mois. Excel» Cet encart publicitaire, publié chaque jour dans un journal, cache une réalité méconnue de la plupart des Montréalais : la vie de motel. En plus des visiteurs de passage, le motel Excel sert de logement à des clients qui s'y accrochent les pieds non pas quelques nuits, mais des mois et parfois même des années. La Presse y a vécu une semaine.

«S'cuse-moé, je suis vraiment magané!», marmonne Maurice, qui revient du dépanneur avec deux 1,18 litres de bière dans un sac en plastique. Il titube dans le couloir. Il est à peine midi.

Maurice a encore bu dans sa chambre toute la journée hier, pour s'endormir complètement ivre. C'est la même rengaine chaque jour depuis qu'il a atterri au motel de Saint-Léonard il y a plusieurs mois.

À 72 ans, le vieil homme boit et fume comme une cheminée, assis seul à sa petite table, devant la télévision fermée.

Sa chambre est sale. Une rôtie au beurre d'arachide entamée traîne sur le comptoir.

Cinquième d'une famille de 13 enfants, il a perdu contact avec plusieurs membres de sa famille. « C'est moi le mouton noir », lance-t-il, les yeux vitreux derrière ses lunettes sales.

Maurice est victime de sa générosité et de sa vulnérabilité. Plusieurs résidents du motel tournent autour de sa chambre pour lui emprunter de l'argent et lui voler des choses. Hier, une femme est venue lui vendre deux cartouches de cigarettes. Elle est repartie avec les cartouches et l'argent sous le bras.

Il y a quelques semaines, Maurice a hébergé dans sa chambre un couple complètement paumé. Pendant une semaine, Maurice et l'homme du couple se sont relayés relayaient dans le lit aux côtés de la femme de 39 ans. En échange des faveurs sexuelles de la femme, Maurice pourvoyait aux besoins du couple en nourriture et en drogue.

Grâce à sa pension de vieillesse et ses rentes, Maurice peut boire autant qu'il le souhaite. Même après avoir payé son loyer.

Maurice correspond à la faune qui habite plus ou moins temporairement dans l'un des bâtiments beiges un peu défraîchis du motel. Souvent des habitués de tavernes ou des joueurs compulsifs.

Plus de la moitié des clients du motel de 265 chambres louent à la semaine ou au mois. Dans la chambre de Maurice, le matelas a les ressorts fatigués, les draps sont troués par des brûlures de cigarette, le robinet coule et la télévision est enneigée en permanence.

La réception jouxte un restaurant et un petit bar. le haut lieu des rencontres entre les locataires du motel, dont certains ont posé leurs valises il y a plusieurs années.

L'un des habitués se nomme Patrick. Il porte un bouc et une chainette en or. Patrick habite l'aile F depuis quatre ans. Il dit refuser de s'encombrer de factures du câble et d'électricité. À 45 ans, il gagne sa vie comme livreur d'électroménagers. Assis à une table, Patrick enfile les bières et les shooter à une vitesse folle pendant que d'autres clients glisse des pièces de monnaie dans des machines loteries vidéo. Une ambiance de fête règne en ce début de mois. Le juke-box crache un succès de Michael Jackson.

Les clients se connaissent presque tous. Ceux qui vivent au motel surtout. Ils forment une sorte de grande famille dysfonctionnelle.

Aux petites heures du matin, dans le stationnement, des femmes de ménage poussent des charriots d'épicerie. C'est ce qu'elles utilisent pour transporter leurs produits nettoyants. Aux fenêtres des chambres, certains ont mis des plantes, des toutous.

Un peu plus tard, un homme d'origine arabe gare sa fourgonnette brune déglinguée devant la 306. Une femme est assise sur la banquette arrière. L'homme sort et fonce au dépanneur à un jet de pierre, pour en revenir avec quelques grosses bouteilles de bières. Il enfonce ensuite la main dans sa poche pour en ressortir 30$ qu'il agite. «Pour ta chambre, pour deux-trois heures, c'est ok?»

Parmi les «locataires» du Môtel Excel, il y a aussi Johanne. Presque paralysée d'une jambe, cette blonde toute menue passe ses journées dans sa chambre depuis son arrivée il y a deux semaines. Sa chatte Loulou ronronne dans la chambre qui empeste la fumée. Près de son lit, une chaise roulante. Elle nous raconte que sa mini-cuisinière a explosé la veille pendant qu'elle se préparait à souper.

Elle dit être une ancienne fonctionnaire à qui on a refusé de payer une indemnisation. Elle jure avoir déjà occupé des fonctions importantes. «J'ai même déjà conseillé un premier ministre», raconte-t-elle.

Elle attend une subvention pour habiter dans une résidence adaptée pourvue d'un ascenseur. D'ici là, elle demeure prisonnière de cette chambre. Ses effets personnels ont été remisés. Elle porte un peignoir presque toujours. Comme sa chambre lui coûte cher, elle n'a plus d'argent pour manger. «Je vais dans les banques alimentaires du coin», souligne-t-elle. Un soir, Johoanne nous demande de l'aider à accrocher des peintures au mur.

En cherchant de l'argent dans le fond de son sac-à-main pour s'acheter de la bière, elle se demande comment elle payera sa chambre le mois prochain.

Elle se plaint du bruit que font ses voisins de chambre. «C'est un black qui tourne des films de cul je pense. Les filles crient sans arrêt, je fesse dans le mur avec le téléphone.»

À la buanderie, un jeune couple dans la vingtaine et leurs deux enfants font leur lavage. Ils sont arrivés il y a trois jours, relocalisés par la Croix-Rouge. Leur appartement de Saint-Michel a été incendié. Ils ont tout perdu. «On n'était pas assuré, mais tout le monde est en vie «, se console la femme, la main sur son ventre arrondi par un troisième enfant en route.

Pendant ce temps Maurice, seul dans sa chambre, boit sa bière devant sa télé éteinte. Sur le bord de la fenêtre de la chambre de Johanne, Loulou dort en boule.

* Les noms ont été remplacés pour respecter l'anonymat des gens décrits dans ce reportage.