On savait que Kimveer Gill avait prémédité son geste en ouvrant le feu au collège Dawson. On savait que la jeune Anastasia De Sousa avait péri sous ses balles. Et que les policiers avaient fait du bon travail. Deux ans après le drame, le coroner Jacques Ramsay a toutefois fait hier une révélation inédite: les parents du jeune dépressif ont failli eux aussi y passer.

L'auteur de la fusillade de Dawson, Kimveer Gill, n'aurait pas hésité à «éliminer ses parents», s'ils avaient gêné ses plans. Même s'il préparait la fusillade depuis des mois, reclus dans sa chambre au sous-sol, sa famille ne se doutait de rien. Ses parents n'auraient jamais cru qu'il pouvait faire un geste violent et se suicider.

C'est ce que révèle le rapport du coroner Jacques Ramsay sur la fusillade de Dawson publié à neuf jours de l'anniversaire de la tragédie survenue le 13 septembre 2006.

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«C'est vraiment douloureux d'apprendre qu'il voulait nous tuer», a dit la mère de Kimveer, Parvinder Sandhu, à La Presse, hier soir. Mais pour elle, le tueur de Dawson n'était pas son fils. C'était un être dépressif, dont elle n'a pas décelé la détresse. «Il n'était plus Kimveer quand il a fait ça. Il était malade», a-t-elle ajouté.

«Si le CLSC m'avait prévenue que mon fils faisait une dépression, j'aurais peut-être pu faire quelque chose. Je n'ai pas vu qu'il avait un problème. Je pensais qu'il avait des armes pour pratiquer un sport», a-t-elle raconté. Le temps ne parvient pas à diminuer sa douleur. «La vie est terrible. Je m'ennuie de lui», raconte celle qui a répété à plusieurs reprises durant l'entrevue être désolée pour les familles des victimes de son fils, en particulier les De Sousa.

Gill s'apprêtait à commettre son «geste fou» le 20 avril pour commémorer la tuerie de Columbine, a-t-on appris aussi dans le rapport du coroner. Le jeune homme de 25 ans a reporté son geste de quelques semaines, en attente de la livraison d'un pistolet qu'il avait commandé.

Si Gill a trompé ses parents, il a aussi menti pour obtenir des armes à feu. Il a fait une fausse déclaration sur ses antécédents de troubles mentaux pour obtenir son permis de possession et d'acquisition d'armes à feu, indique le coroner. Sa mère a d'ailleurs hésité pendant 10 semaines avant de signer le formulaire comme répondante pour qu'il obtienne son permis en 2005.

Depuis l'âge de 18 ans, Gill présente une fragilité psychologique. Il boit entre deux et sept consommations d'alcool par jour. Il est décrit comme un jeune homme «très introverti» et «hypersensible».

Deux ans avant le drame, il consulte dans un CLSC près de chez lui à Laval. Il songe alors à se lancer devant un camion. Un médecin lui prescrit un antidépresseur, mais cela ne produit aucun effet notable. Son trouble anxieux est relié à sa consommation d'alcool, estime le médecin qui lui recommande une thérapie à laquelle il ne participera pas. En juillet 2004, un psychologue du CLSC le relance et ne constate aucune amélioration de sa santé mentale. Il le rencontre chaque semaine pendant un mois. Le jeune homme abandonne cette autre thérapie. Sa dernière visite au CLSC remonte au 30 janvier 2005, alors qu'il éprouve une douleur à une main après une bagarre.

«Alors qu'il souhaite être accepté par les autres, tous ses gestes annoncent le contraire», souligne le coroner. Il a abandonné ses cours au cégep après deux mois. Il s'inscrit dans l'armée de terre, mais n'y reste que quelques semaines. Il est un employé très discret à l'usine Marconi, où il travaille pendant deux ans, jusqu'à ce qu'il soit victime de mises à pied massives. Il est sans travail depuis plus d'un an au moment de la tragédie.

Gill n'a pas réglé son problème d'alcool, puisque le jour de la fusillade, son taux d'alcoolémie dans le sang est tout juste sous la limite permise soit, 0,076. Il a bu du whisky le matin du drame, dans sa voiture, en route vers le collège Dawson. Aucune autre drogue n'a été retrouvée dans son sang.

Gill a passé les sept ou huit derniers mois de sa vie, reclus dans sa chambre, la porte fermée, passant le plus clair de ses soirées et ses nuits devant son ordinateur. Sur le disque dur de son ordinateur, les policiers retrouveront des photos de deux autres collèges et quatre universités, en plus d'un plan sommaire de Dawson. Le coroner n'a pas découvert pourquoi Gill avait finalement choisi Dawson. Le jeune homme n'avait jamais fréquenté ce collège.

Vers 1h54 la nuit avant le drame, Gill écrit son testament à la main. Il cède toutes ses possessions à sa mère. «Les êtres humains sont mauvais (98% de vous)», écrira-t-il en anglais. Après avoir tué Anastasia De Sousa et blessé 16 personnes, Kimveer Gill s'est donné la mort sous les yeux de deux témoins à l'intérieur du collège.

Le coroner a mis en garde, hier, ceux qui seraient tentés de faire un lien entre la fusillade et le goût de Gill pour la musique death metal, les jeux vidéo violents et les vêtements noirs. «Ce n'est pas parce que quelqu'un est déprimé et s'habille en noir qu'il va commettre des gestes violents», a-t-il souligné. Quelques mois avant le drame, Gill rêvait encore d'écrire un scénario de film. S'il avait pu canaliser autrement ses énergies, il y a fort à parier que les événements de Dawson ne seraient jamais survenus, selon le coroner.

«En bout de ligne, la fusillade du collège Dawson est d'abord et avant tout le fait d'un jeune homme en proie à un profond mal de vivre. Le désespoir de Kimveer Gill doit aussi nous interpeller», a conclu le coroner dans son rapport de 25 pages.