Certains problèmes d'insécurité dans le quartier Saint-Michel pourraient être résolus en réunissant deux communautés que tout semble opposer. Des jeunes d'origine haïtienne seront chargés cet automne de raccompagner chez eux à la nuit tombée ceux-là mêmes qu'ils effraient: des personnes âgées d'origine italienne.

Les jeunes participeront au projet sur une base volontaire, et ils ne seront pas rémunérés pour les services rendus.

Soraya Martinez a eu l'idée de ce programme inusité après avoir entendu les plaintes répétées des membres d'un club de l'âge d'or de Saint-Michel. «Les personnes âgées vivent beaucoup d'insécurité dans le quartier. Elles sont plus vulnérables et craignent de marcher seules le soir», remarque la conseillère municipale de l'arrondissement de Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension.

«Des fois, j'ai peur», avoue Antonio Ionila, président du club. Chaque soir ou presque, il se réunit avec une bande de copains - surtout des compatriotes italiens - dans le petit chalet du parc Champdoré pour y jouer aux cartes, papoter, rigoler, prendre du bon temps. Ce qu'il aime moins, c'est quand des jeunes se massent autour du chalet. Certains prennent un malin plaisir à frapper sur les murs extérieurs du pavillon. Une fenêtre a volé en éclats au début de l'été. Vendredi dernier, des tessons de bouteille jonchaient le sol près de l'entrée.

Antonio Ionila n'a jamais été attaqué, mais il a été blessé d'une autre façon. Il y a quelques mois, il a perdu un joueur - un homme car ils sont les seuls admis dans ce cercle fermé - qui préfère ne plus venir se joindre au groupe. Les autres se débrouillent la plupart du temps pour ne jamais se retrouver seuls au moment de rentrer à la maison. Antonio craint le retour de l'hiver, quand ses pas seront ralentis par la neige et que les jours se feront de plus en plus courts. «Les ennuis arrivent quand il fait sombre, et l'hiver, la nuit arrive tôt», rappelle-t-il.

Un problème de perceptions

Soraya Martinez, qui a grandi et habite dans le quartier Saint-Michel, relativise les craintes de M. Ionila. Oui, il y a eu du vandalisme, mais il n'est l'affaire que d'une poignée de délinquants, assure-t-elle. «Le problème en est un de perceptions. Il y a beaucoup de méfiance et de préjugés de part et d'autre.» Elle espère que le programme permettra de tisser des liens durables entre deux groupes de générations et de cultures différentes. «Tout le monde vit l'un à côté de l'autre, sans se connaître. C'est ce qu'il faut changer, que les gens du quartier puissent se rencontrer, échanger pour comprendre qu'ils utilisent les mêmes rues, les mêmes parcs, qu'ils vont chez les mêmes commerçants», dit-elle.

Les Italiens ont été les premiers à s'installer dans le quartier, il y quelque 40 ans. Le hic, c'est que la plupart de leurs enfants ont déserté le coin pour s'établir dans d'autres quartiers de Montréal. La génération qui suit est composée majoritairement d'immigrants d'origine haïtienne, qui n'ont pas eu l'occasion de jouer avec les enfants ou les petits-enfants de ces Italiens.

Wildano Félix, par exemple, n'était jamais salué par les aînés quand il traversait le parc Champdoré, jusqu'à ce qu'il fasse l'effort d'aller se présenter aux joueurs de cartes. Pourtant, il est bien connu dans le quartier, ce «Wildano», comme on l'appelle simplement ici. Pas un jeune de moins de 20 ans ne le croise sans au moins lui envoyer la main. Il a 30 ans, il est né dans le quartier, mais il s'y sent encore parfois traité comme un étranger.

Boule de neige

Le projet n'en est encore qu'à ses balbutiements et ne concerne pour le moment qu'une poignée de participants, mais ses organisateurs anticipent déjà qu'il fera boule de neige. Wildano Félix, qui est aussi coordonnateur des Monarques de Saint-Michel, un organisme qui vient en aide aux jeunes du quartier, sera chargé de recruter les adolescents au cours des prochains jours. Il ne croit pas qu'il aura de mal à trouver des volontaires. «Tout le monde est prêt à faire des efforts pour améliorer le climat du quartier», dit-il.

Une grande fête est d'ailleurs prévue dans le parc la fin de semaine prochaine. Et pour donner le ton, une troupe de musique haïtienne devrait y jouer de grands classiques italiens.