Le pêcheur Ray Boutilier avait déjà vu des choses terribles dans la marine, pendant la guerre, mais rien de comparable à l'horreur qui l'attendait sur l'eau, après l'écrasement d'un avion de Swissair au large de la côte de la Nouvelle-Ecosse, il y a 10 ans.

De son bateau, au lendemain de l'écrasement du vol 111, il voyait des débris humains, appartenant aux corps des 229 personnes à bord de l'appareil, remonter à la surface. Un torse, un pantalon avec un morceau de jambe à l'intérieur. De la peau et des organes partout.

Nous étions «en plein milieu», se rappelle M. Boutilier, qui avait amené un journaliste dans les eaux de Peggy's Cove, en Nouvelle-Ecosse, aux petites heures du matin du 3 septembre 1998. Les heures que lui et d'autres ont passées à remplir des sacs de restes humains le hanteront pour le reste de ses jours, dit M. Boutilier, aujourd'hui âgé de 82 ans.

Comme lui, des centaines de pêcheurs, soldats, membres de la garde côtière, policiers, professionnels médicaux et journalistes ont été exposés à cette scène cauchemardesque.

La veille, le MD-11 avait frappé les eaux de la baie St. Margarets à 560 kilomètres à l'heure, moins d'une demi-heure après qu'on eut détecté un incendie dans le poste de pilotage de l'appareil. L'avion a été déchiqueté en deux millions de pièces.

«L'eau ne pardonne pas, explique le docteur John Butt, médecin légiste en chef de la Nouvelle-Ecosse à l'époque. L'avion aurait pu tout aussi bien frapper un mur de béton. L'eau n'a rien d'élastique.»

Au cours des heures et des semaines qui ont suivi, on a récupéré plus de 15 000 parties de corps de la surface, du fond de l'eau et des rives environnantes, un travail qui a ébranlé psychologiquement plusieurs des personnes impliquées.

Une étude de psychologues de l'Université Dalhousie, à Halifax, a révélé que plusieurs des personnes exposées aux débris humains après l'écrasement ont souffert d'impacts à court et à long termes, et notamment de stress post-traumatique.

Un psychiatre militaire, le lieutenant-colonel Rakesh Jetly, estime que «quelques dizaines» des centaines de militaires impliqués dans la récupération des restes humains sont toujours soignés pour stress post-traumatique, dix ans plus tard. Certains n'ont jamais repris le service actif.

Gilles Chiasson, un psychologue de la Gendarmerie royale du Canada qui a conseillé certains des 500 policiers impliqués, dit que quelques-uns de ceux-ci étaient tellement perturbés par la scène qu'on a dû les ramener à terre.

Stephen Thorne, le journaliste de La Presse Canadienne que M. Boutilier a transporté à bord de son bateau jusque sur les lieux de l'accident, raconte que quelque temps après le drame, il a commencé à avoir des cauchemars. Il ne cessait pas de penser aux derniers moments des victimes. Après avoir cru que cela passerait, il a dû se résoudre à suivre une thérapie.