L'ancien chef du Service de police de la Communauté urbaine de Montréal, Jacques Duchesneau, est maintenant à la retraite depuis plusieurs années. La Presse l'a rencontré pour faire le bilan, 11 ans plus tard, de l'action de la police de quartier. M. Duchesneau en a profité pour dire que l'émeute de Montréal-Nord illustre bien ce qui peut se produire lorsque les policiers sont déconnectés de leur milieu.

L'émeute de Montréal-Nord a pu se produire parce que la police y est déconnectée de la communauté de son quartier, dénonce l'ex-chef du Service de police de Montréal, Jacques Duchesneau, qui s'est vidé le coeur en entrevue à La Presse. Cette explosion de colère aurait pu être prévenue, et, si rien n'est fait pour tisser des liens solides avec le milieu, d'autres crises éclateront, croit-il.

«On me dit que ce soir-là, il y avait sept policiers en devoir. Si c'est sept aliens, qui n'ont aucun contact dans la communauté, sept, ce n'est définitivement pas assez», a déclaré M. Duchesneau, dans le cadre d'une entrevue qui visait à faire le bilan, après 11 ans, de la police de quartier qu'il a lui-même mise en place. «Si la police avait eu un visage à Montréal-Nord, si elle avait eu un nom, peut-être que la crise n'aurait pas duré aussi longtemps.»

L'ancien chef de police fustige l'attitude fermée de plusieurs agents, reflet d'un modèle policier archaïque. «Les policiers se promènent dans un secteur, les vitres montées. Ils entrent peu en contact avec les gens. Ils vont entrer en contact uniquement quand les gens appellent, en situation de crise. Avec ça, on ne bâtit pas des relations.»

«Pour moi, les policiers, c'est dans la rue, pas dans un poste de police en train de prendre des rapports, poursuit-il. Ça ne protège rien, des policiers dans un poste de police. Il faut qu'ils soient visibles. Ce qui est regrettable, c'est que les policiers sont de moins en moins visibles.»

Et lorsque les policiers ne connaissent pas bien leur communauté, ils ont parfois recours à d'autres méthodes. «Si on devient une police impersonnelle et qu'on ne se connaît pas, oui, il va y avoir du profilage racial», dit-il.

D'ailleurs, cette explosion de colère qui a secoué le quartier était parfaitement prévisible, croit M. Duchesneau. «Pas sûr qu'on a toujours entendu les messages. C'était une crise annoncée depuis longtemps. Les policiers trouvaient de plus en plus difficile de travailler là.»

En effet, les policiers se sentaient comme des «intrus» depuis belle lurette dans ce secteur chaud de Montréal-Nord, souligne-t-il. «Si, comme on m'a raconté, un policier va acheter quelque chose et qu'on lui dit: «Moi, je ne te sers pas parce que tu es un policier», ça, c'est annonciateur de quelque chose de plus grave qui s'en vient.»

Pour l'ancien chef de police, maintenant à la retraite, les voitures ont beau avoir cessé de brûler dans les rues de Montréal-Nord, le feu couve toujours dans le quartier. «La crise n'est pas réglée. Il y a un groupe qui veut prendre le contrôle du secteur. Et le jour où on identifiera que ce secteur, c'est une zone où comme policier on ne doit pas aller, on les laisse prendre le contrôle».

C'est le danger qui guette Montréal-Nord? «Oui. Et d'autres zones problématiques aussi. Il faut s'attaquer à ce problème-là et on ne fera pas ça juste avec une approche policière. Il faut une approche concertée. Avec les travailleurs sociaux. Les leaders de la communauté. Les groupes communautaires.»

Car la pire réaction que pourrait adopter le service de police, croit Jacques Duchesneau, ce serait de se replier sur une approche purement répressive dans Montréal-Nord. S'il refuse de critiquer nommément le leadership de son successeur au SPVM, Yvan Delorme, il lui lance néanmoins un message très clair. «Un chef donne le ton. Il ne faut pas succomber à la tentation de dire: «Bon, la police communautaire, ça n'a pas marché, reprenons l'approche répressive.» Si on disait ça, on reculerait. Et on ne trahirait pas uniquement la population, mais aussi ceux qui ont cru en nous et qui ont voulu faire front commun avec la police pour trouver des solutions pacifiques. Et il y en a, des solutions pacifiques.»

Évidemment, ces solutions pacifiques ne sont pas une panacée. Il faut aussi assurer la sécurité, procéder à des arrestations. «Une police communautaire, ça fait aussi des arrestations! Il ne faut pas tomber dans l'angélisme: il y a des bums à Montréal-Nord et il faut les traiter comme tels.»

Une carrière bien remplie

Jacques Duchesneau est né dans un quartier modeste. Il est entré au Service de police de Montréal à l'âge de 18 ans, en 1968. Il y occupe d'abord les fonctions de patrouilleur, d'agent double, puis d'enquêteur. Il est par la suite nommé commandant, puis, en 1994, chef de ce qui s'appelait à l'époque le Service de police de la Communauté urbaine de Montréal. Il occupera ce poste pendant quatre ans et transformera les forces policières montréalaises en instaurant les postes de quartier, qui ouvrent leurs portes dans chaque quartier de la métropole. En 1998, il quitte le service de police et est candidat malheureux aux élections municipales de Montréal. En 2002, il est nommé à l'Administration canadienne de la sûreté du transport aérien, un organisme créé dans la foulée des événements du 11 septembre 2001. Il est actuellement à la retraite et vient tout juste de se remarier.