Au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, sur le mont Royal, des dizaines de sépultures, autrefois ornées de magnifiques plaques et statues de bronze, exposent désormais leurs cicatrices à tous vents. Lorsqu'elles ne sont pas fondues pour la valeur du métal, les oeuvres d'art, des trésors qui valent parfois plusieurs dizaines de milliers de dollars, se retrouvent chez les brocanteurs du centre-ville ou sont récupérées par de curieux personnages.

Le cimetière Notre-Dame-des-Neiges est le plus grand au Canada. Alain Tremblay, directeur de l'Écomusée de l'Au-delà, un organisme voué à la préservation du patrimoine funéraire du Québec, le connaît comme le fond de sa poche. Il se balade dans cet immense parc de la mort et répertorie les oeuvres pillées. Selon lui, plus d'une cinquantaine de bronzes ont disparu. «C'est une catastrophe!» s'exclame-t-il.

Au coeur du cimetière, une imposante pierre tombale en marbre trône entre les arbres. Un bouquet fané est déposé sur le gazon fraîchement coupé. Deux immenses anges ont été arrachés de la stèle.

La Presse s'est rendue chez un antiquaire de l'est de Montréal. Six pièces funéraires y sont en vente. Le vendeur en demande entre 60$ et 300$. «Pour obtenir un vert-de-gris comme celui-là, il faut que la pièce reste au moins 80 ans à l'extérieur», dit-il.

L'antiquaire affirme n'avoir aucune idée d'où viennent ces bronzes. «Je les achète s'ils m'intéressent. Je ne demande pas leur provenance. C'est comme ça chez tous les antiquaires. Si c'est une pièce volée, je ne peux pas le deviner.»

Selon l'enquêteur de la Sûreté du Québec Jean-François Talbot, spécialisé en arts, les antiquaires et brocanteurs sont tenus par la loi de demander l'identité et les coordonnées de leurs fournisseurs.

Curieusement, quatre des six pièces aperçues chez l'antiquaire correspondaient parfaitement à des sépultures pillées au cimetière Notre-Dame-des-Neiges.

Jean-François Talbot affirme qu'il est difficile de prouver qu'un bronze a été volé. «Comment savoir si les oeuvres ont été vendues par la famille ou si c'est un vol? Les gens portent rarement plainte. En plus, il n'y a pas de numéro de série sur la plupart des pièces.»

Selon l'enquêteur, une dizaine de vols seulement sont déclarés chaque année.

Milice citoyenne

Jean-François Talbot croit que ceux qui s'attaquent au patrimoine funéraire ne sont généralement pas des voleurs professionnels. Ils utilisent des pieds-de-biche et des scies pour détacher les bronzes. «Sur les lieux du crime, on trouve souvent des bouteilles de bière et des paquets de cigarettes, dit-il. Ils arrachent les bronzes pendant la nuit et viennent les chercher le lendemain avec un véhicule.»

M. Talbot affirme qu'une partie du patrimoine funéraire québécois se retrouve aux États-Unis. «On croit que les gens achètent des pièces par internet pour les installer sur les sépultures de leur famille.»

Depuis quelques mois, Alain Tremblay et une dizaine de bénévoles parcourent les boutiques pour retrouver le patrimoine volé. Grâce à cette milice citoyenne, sept pièces ont retrouvé leur place au cimetière. «On veut tuer le marché en s'attaquant aux receleurs. On va les poursuivre jusqu'en enfer», promet Alain Tremblay.

Il y a plus de 55 000 monuments au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, un immense territoire qu'il est impossible de sécuriser complètement. «Seulement quelques parties du cimetière sont éclairées, affirme le directeur, Yoland Tremblay. Entre 1h et 6h du matin, il n'y a qu'un agent de sécurité qui fait des rondes à toutes les heures.»

Oeuvres de valeur

Au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, on trouve des oeuvres façonnées par quelques-uns des plus grands sculpteurs québécois. En 2005, un bronze de Louis-Philippe Hébert a été volé. La Sûreté du Québec a retrouvé le buste en 2006. Moins d'un mois plus tard, l'oeuvre s'était à nouveau volatilisée.

En 2002, le monument érigé en l'honneur de Joseph Versailles, le fondateur de Montréal-Est, a été amputé d'une plaque de bronze. L'oeuvre avait été sculptée par le grand artiste québécois Alfred Laliberté. Paul Versailles, le petit-fils de l'ancien maire, fera restaurer l'oeuvre familiale. «Cette fois-ci, ce sera en granit noir, dit-il. On ne veut pas se faire voler à nouveau. Ça m'a coûté 7000$ pour une plaque de 35cm sur 60.»

M. Versailles ajoute que sa famille a été ébranlée par ce vol. «C'est un viol, s'insurge-t-il. On vit toujours dans la crainte que la statue qui reste se fasse voler elle aussi. Le monument ne sera plus jamais le même.»

Partout au Québec

Le pillage d'oeuvres funéraires n'est pas unique à Montréal, selon Daniel Drouin, conservateur au Musée national des Beaux-Arts du Québec et spécialiste de l'art funéraire. «Dans toute ville de 30 000 habitants et plus, il y a des monuments funéraires importants et des vols.»

Yoland Tremblay, aussi secrétaire-trésorier de l'Association des cimetières catholiques romains du Québec, affirme pour sa part que, à l'extérieur de Montréal, les pillages sont des phénomènes isolés. «Aucun endroit au Québec ne compte autant de bronzes que le cimetière Notre-Dame-des-Neiges. Il est reconnu pour la valeur de ses oeuvres.»

Concepteur de monuments funéraires, Sylvain Gagnon remarque que des objets disparaissent dans tous les cimetières où il travaille au Québec. «Ce sont des lieux où toutes sortes de choses sont pillées: du bouquet de fleurs au menhir en marbre. Le vol fait partie des phénomènes étranges qui se produisent dans les cimetières.»

Le cimetière Notre-Dame-des-Neiges, c'est...»

Le plus grand cimetière au Canada et le troisième en importance en Amérique du Nord.

« Son architecture a été inspirée de celle du cimetière du Père-Lachaise, à Paris.

« 175 000 visiteurs par année

« Plus de 55 000 monuments funéraires

« Plus de 10 000 arbres