Bob Marley aurait été content. Même après avoir fumé des joints deux fois plus gros que d'habitude, le père spirituel des Rastafaris n'aurait jamais pu imaginer un scénario comme celui qui s'est matérialisé hier après-midi, dans le Vieux hangar de la zone portuaire de Chicoutimi.

Pendant une heure, un groupe de Montréal, Deya, a interprété des chansons reggae, dont une du regretté leader des Wailers, sa célèbre "Rebel Music". Et le plus étonnant, c'est que la salle était pleine comme un oeuf, qu'une vingtaine de personnes ont dansé au pied de la scène et que les autres ont semblé apprécier cette rare incursion de la musique jamaïcaine en terre saguenéenne.

Si la pluie a incité maints visiteurs à jeter un oeil dans la bâtisse, le fait que la plupart soient restés témoigne de la qualité des interprétations. Le groupe, qui comprend huit personnes, n'avait jamais chanté dans la région. Or, dès le coup d'envoi, par l'entremise d'une composition baptisée "Moyen-Orient", il a fait la preuve de son sérieux.

La basse ronronnait, complice de la guitare et des percussions. Le beat qui en résultait correspondait à l'idée qu'on se fait du reggae, tout comme le travail des deux choristes dont les harmonies vocales, autant que les mouvements dansants, revendiquent une lointaine parenté avec ceux des I-Threes qui accompagnaient Marley dans les années 70.

Comme l'a expliqué Nicolas, le chanteur, le reggae permet d'exprimer une forme d'engagement non-violent, d'où la décision de Deya d'opter pour ce mode d'expression. Il le fait parfois en français, mais hier, les paroles étaient difficiles à saisir, par moments. Néanmoins, quelques bribes de messages ont été bien captées par l'auditoire, qui comprenait de 150 à 200 personnes.

Ainsi, sur une pièce d'Alpha Blondy intitulée "Brigadier Sabari", il est question d'une opération Coup de poing menée par la police de la Côte d'Ivoire il y a quelques décennies. Sans connaître le contexte, juste pour la beauté du rythme, des dizaines de spectateurs ont scandé "Opération Coup de poing" plusieurs fois, à la demande du chanteur.

Il a aussi été question d'Haïti et du Brésil grâce à des compositions livrées en créole et en portugais, ainsi que d'un thème familier de ce côté-ci du parc des Laurentides: la déforestation. "On a vu des paysages extraordinaires en venant chez vous. Ça ne nous tente pas de retourner à Montréal", a confié Nicolas avant de proposer "une chanson sur les arbres".

Alors que certains rêvent de compliquer l'accès aux études supérieures (pour ne prendre qu'un exemple au hasard), il est rafraîchissant de constater qu'au Québec, il y a encore des jeunes qui chérissent d'autres valeurs que celles qui tiennent dans un bilan comptable. Juste pour ça, les membres de Deya méritent une gommette.

Des visiteurs persistants

Il a cessé de pleuvoir pendant le spectacle de Deya, si bien qu'au milieu de l'après-midi, le site de la zone portuaire a fait le plein de visiteurs. Malgré le ciel menaçant, une réalité à laquelle est confronté le festival depuis jeudi, on constate que les amateurs de musiques du monde ne sont pas faits en chocolat.

Leur persistance à assister aux activités extérieures est admirable, comme l'ont montré les nombreuses personnes qui ont participé à la dégustation de bières et de grillades tenue à côté du Vieux hangar à l'heure du dîner. Simultanément, ils étaient plusieurs à suivre, tous parapluies ouverts, le jam de percussions donné sur la grande scène.

Il faut dire que les artistes et les amuseurs se sont démenés pour faire oublier la grisaille, qu'on pense à la fanfare Semel Rebel qui a arpenté le site samedi et dimanche, ou à l'acrobate Davio dont chaque numéro a généré des attroupements à proximité de la fontaine aux bélugas.

Un autre participant, le batteur Olivier Malette, ne s'est pas produit à l'extérieur, mais a quand même attiré les regards lors de son mini-spectacle présenté dans le Vieux hangar. À peine plus haut que son instrument, il a joué avec autorité par-dessus une bande sonore meublée par des succès populaires. Qui sait? Peut-être qu'un jour pas si lointain, lui aussi fera du reggae.