Des avocats d'Omar Khadr espèrent que la diffusion d'une vidéo montrant le jeune garçon en proie au désespoir après son interrogation par un agent du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) poussera le public à appuyer son rapatriement au Canada.

«Tout ce que nous pouvons faire, c'est montrer (aux Canadiens) les preuves que nous avons reçues et les laisser se fier à leur propre conscience, a dit l'avocat Dennis Edney. Qui, parmi nous, souhaiterait voir son enfant traité comme l'a été Omar Khadr?»

Mardi, Me Edney et son collègue Nathan Whitling ont diffusé plus de sept heures de vidéo tournées en février 2003, dans le cadre d'un interrogatoire de quatre jours à la prison de Guantanamo Bay. Dix minutes d'extraits sélectionnés par les avocats ont d'abord été diffusés tôt mardi matin. La vidéo entière a été diffusée plus tard dans la journée.

Les images, rendues publiques en vertu d'une ordonnance d'un tribunal canadien, montrent un Khadr parfois arrogant, parfois paniqué, à qui on refuse systématiquement la permission de rentrer au Canada.

Visionnez des extraits de l'interrogatoire

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Le jeune homme avait 15 ans lorsqu'il a été capturé en Afghanistan. Aujourd'hui âgé de 21 ans, Khadr est accusé par les États-Unis d'avoir lancé la grenade qui a coûté la vie à un soldat américain. Il devrait être traduit en procès devant une commission militaire en octobre.

Selon Me Edney, les Canadiens n'ont pas à se demander si Khadr est coupable, ils doivent seulement décider s'il mérite la protection des lois canadiennes. «Nous souhaitons que le public canadien reconnaisse que, si on met de côté toute inquiétude au sujet de la culpabilité ou de l'innocence - ce qui devra être déterminé en cour - et qu'on fait preuve de compassion (...), cet enfant a assez souffert. Ce n'est pas un terroriste», a-t-il affirmé.

À un moment dans la vidéo, Khadr soulève le haut de sa combinaison orange et montre les blessures qu'il a subies pendant le combat. Il se plaint de ne pouvoir bouger ses bras et de ne pas avoir reçu les soins médicaux appropriés.

Plus tard, on voit Khadr, seul et clairement en détresse, se bercer, son visage caché dans ses mains. Puis, on entend des sanglots qui ressemblent à «Aidez-moi» ou «Tuez-moi» mais qui sont en fait les mots arabes pour «Oh maman», selon des membres de la famille Khadr qui ont vu les images.

La soeur de Khadr, Zaynab Khadr, a dit avoir eu de la difficulté à regarder la vidéo. «Très triste, a-t-elle dit. C'est mon frère. C'est même mon petit frère.»

Dans d'autres images, Khadr mange des hamburgers et boit une boisson gazeuse que lui ont donné ses interrogateurs. On lui pose des questions au sujet de ses amis, des membres de sa familles et de ses associés, mais ses réponses sont inintelligibles.

Selon Me Edney, le comportement de Khadr s'est transformé dans les quatre jours d'interrogatoire. «Il est très clair que, lorsqu'il voit les Canadiens arriver, il est fou de joie: «Quelqu'un vient m'aider et je vais avoir droit à une sorte de procédure et peut-être pourrai-je rentrer à la maison.', raconte l'avocat. Mais à la fin de la journée, Omar se rend à l'évidence que (les agents) ne l'aideraient pas et qu'ils n'étaient pas intéressés à l'aider.»

Quelques heures après sa diffusion, la vidéo a été mise sur plusieurs sites Internet à travers le monde. Me Edney a dit avoir accordé des entrevues à de nombreux médias, allant de la BBC à al-Jazira, et que certains d'entre eux montraient plus de sympathie envers Khadr que ses propres compatriotes.

«(La BBC) a dit qu'il y avait beaucoup de sympathie pour l'affaire Khadr, a confié Me Edney. Ca en dit long sur la culture canadienne.»

Alain Roy, d'Amnistie internationale, croit que la diffusion de la vidéo pourra contribuer à changer les perceptions. «Avec cette vidéo, le public et même des membres du gouvernement ne voient plus le combattant illégal abstrait dépeint par le gouvernement américain, mais plutôt une véritable personne. Un enfant qui a été recruté comme soldat, un enfant qui a peur et qui a besoin d'aide.»

Dennis Edney et Nathan Whitling, qui travaillent bénévolement, n'ont pas vu leur client depuis six semaines et affirment que Khadr ne sait même pas que les enregistrements ont été diffusés. Selon Me Whitling, le jeune homme n'est pas très optimiste.

La publication de la vidéo est survenu après celle d'informations, la semaine dernière, selon lesquelles Khadr a été maltraité au camp de Guantanamo, où il est maintenant le seul citoyen occidental toujours détenu.

Il aurait ainsi été fréquemment privé de sommeil pendant trois semaines, dans le but de le rendre plus vulnérable en interrogatoire.

Selon Alain Roy, la vidéo ne fait que renforcer l'opinion d'Amnistie internationale, qui croit que Khadr devrait être rapatrié au Canada. «Ca nous pousse à réitérer notre demande voulant qu'il soit rapatrié au Canada immédiatement.»

Julia Hall, de l'organisation Human Rights Watch, abonde dans le même sens. «Omar Khadr a été agressé et maltraité aux États-Unis alors qu'il était enfant, et le Canada le savait très bien, a-t-elle déclaré par communiqué. Il n'y a pas de «processus équitable» possible dans de telles circonstances, et le gouvernement canadien doit l'admettre et demander le rapatriement de Khadr immédiatement.»

Après la diffusion des images, Anne Howland, la porte-parole du ministre des Affaires étrangères, David Emerson, a répété que le gouvernement conservateur est d'avis que Khadr «se trouve dans un processus judiciaire qui doit être mené à terme».

Le SCRS a réagi à la vidéo en disant qu'il a «le devoir d'enquêter sur des menaces potentielles à la sécurité du Canada et de ses intérêt».

«Omar Khadr a été interrogé par le SCRS au sujet d'individus, incluant ceux liés à Al-Qaeda, qui peuvent représenter une menace pour la sécurité du Canada et de ses intérêts», a déclaré le SCRS dans un communiqué, ajoutant qu'il n'offrira pas d'autres commentaires.

Le porte-parole libéral en matière d'affaires étrangères, Bob Rae, a estimé que Khadr était un «enfant soldat» qui doit être rapatrié au Canada pour y être traité et réhabilité.

La porte-parole adjointe du Bloc québécois en matière d'affaires étrangères, Johanne Deschamps, a indiqué mardi que «rien, strictement rien, ne justifie le traitement que le Canada réserve à Omar Khadr, un de ses citoyens».

«En refusant de rapatrier ce ressortissant canadien, le Canada se rend coupable d'une violation aussi flagrante qu'aberrante des droits de la personne et de la Convention des Nations unies sur les droits des enfants, dont il a pourtant été l'un des architectes. C'est révoltant, rien de moins «, a poursuivi la députée de Laurentides-Labelle.

Mais la soeur d'Omar Khadr, Zaynab, est pessimiste. Elle rappelle qu'un autre de ses frères - Abdullah, qui est actuellement emprisonné au Canada en attendant d'être extradé vers les États-Unis -, a été interrogé par des agents canadiens même s'il a été violenté pendant sa détention au Pakistan.

«Il a été torturé pour leur bénéfice et il continue de l'être en prison. Ca n'a pas beaucoup changé et je ne m'attends pas à ce que ce soit différent à Guantanamo», a-t-elle indiqué.