Après l'émeute, l'incompréhension. Et la colère. La colère des résidants du quartier contre les jeunes qui ont semé la désolation à Montréal-Nord dimanche soir. La colère des commerçants qui accusent les policiers de s'être croisé les bras pendant que les vandales les pillaient. La colère aussi d'une famille qui a perdu un des siens, samedi soir, tué par la police. Et qui, comme tout le monde, voudrait bien comprendre.

Policiers, voisins, journalistes et badauds: les rues de Montréal-Nord fourmillaient, hier, au lendemain de l'émeute qui a secoué une partie de l'arrondissement. De leur balcon, au troisième étage d'un immeuble à logements de la rue Pascal, Roseline et Sébastien contemplaient l'agitation de cet étrange lendemain de veille.

Ils étaient postés au même endroit une douzaine d'heures plus tôt, lorsque le quartier s'est embrasé. Sous leur balcon, une scène d'une rare violence s'était jouée à toute vitesse.

Des manifestants en colère scandant «policiers assassins!». Des incendies en pleine rue alimentés par des bonbonnes de propane ou la table à pique-nique de la crémerie d'en face. Des projectiles lancés aux pompiers. L'arrivée de l'escouade antiémeute. Et, enfin, les coups de feu tirés en direction des policiers.

Quatre exactement.

Un des projectiles s'est logé dans la jambe d'une policière. Un autre a transpercé la porte-fenêtre du couple, puis le mur du salon et celui de la chambre d'amis, pour enfin s'immobiliser dans le mur de la penderie.

Le coup de feu, tiré par un jeune homme cagoulé embusqué derrière une voiture garée, les a saisis. «La balle m'a sifflé près de l'oreille. Un centimètre de plus à droite et puis...», raconte Sébastien.

Des histoires de ce genre, on en comptait par dizaines hier matin dans ce secteur un peu glauque. Huit voitures incendiées, 20 introductions par effraction, 39 méfaits dont plusieurs commerces saccagés, des coups de feu dignes du Far West, des centaines de policiers sur les dents, des foyers d'incendie éparpillés un peu partout, des explosions... Tout cela avait de quoi alimenter les conversations.

Hier, le chaos de la veille avait cédé la place à la colère et à l'incompréhension devant ces scènes de désolation qu'on ne voit d'ordinaire qu'à la télévision.

«Faites attention à la vitre, les enfants», lance une femme, au bas des escaliers couverts d'éclats de verre menant à son logement, à l'intersection de la rue Maurice-Duplessis et du boulevard Langelier.

Les commerces du rez-de-chaussée de l'immeuble où habitent cette mère, son amie et leurs enfants ont été saccagés, les vitres soufflées. La Presse était présente la veille lorsque des jeunes au visage dissimulé sous un foulard ont mis l'endroit à sac et alimenté un feu au milieu de la rue avec tout se qui leur tombait sous la main.

Pendant que les vandales pillaient et détruisaient les commerces, dont un dépanneur et une pizzeria, deux mères et leurs six enfants les observaient de leur balcon du deuxième étage. «Ils ont lancé des cocktails Molotov en bas. On a essayé d'appeler la police quatre fois. Ils nous ont finalement répondu: faites ce que vous pouvez», raconte une des deux femmes, encore secouée.

Un étage plus bas, Siho Orum constatait avec découragement les dégâts dans sa pizzeria, ouverte depuis deux mois seulement. Quand l'émeute a éclaté, sa journée de travail se terminait; il comptait l'argent de la caisse avec son associé. «Nous avons couru nous réfugier en bas, nous avons enlevé les ampoules et nous n'avons pas bougé durant deux heures», raconte le restaurateur d'origine kurde.

Si des jeunes sont responsables de la casse, la majorité des personnes interrogées en avaient plutôt contre les policiers. «Ils sont restés debout les bras croisés. On paie des taxes, mais on n'a pas droit à la protection», tonne Alexandre Monsef, propriétaire d'un immeuble vandalisé, qui songe à intenter des poursuites contre la Ville.

Près de la caserne vandalisée, dans le stationnement d'un petit centre commercial, se trouvaient les restes d'une camionnette calcinée. Le brasier a même léché les balcons des appartements du dessus. Des morceaux de tôle noircie traînaient par terre.

Les pompiers qui ont tenté d'intervenir dans le secteur en soirée ont dû faire demi-tour après avoir été pris pour cibles par les vandales. «Des enfants de moins de 10 ans alimentaient les feux allumés partout», a déclaré Vanessa, une voisine.

Surveillance accrue

Hier, dans un climat de haute tension, les policiers étaient sur les dents dans le quartier. Plusieurs personnes interrogées étaient convaincues que d'autres actes de violence allaient éclater sous peu.

Plus tôt dans la journée, les autorités étaient venues rassurer la population. Le maire Gérald Tremblay a demandé au directeur du Service de police de la Ville de Montréal de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des citoyens. «Je ne tolérerai pas que des individus commettent des gestes de violence de la sorte. Je ne tolérerai pas que des policiers soient victimes d'atteintes physiques», a martelé le maire.

De son côté, le SPVM entend tirer des leçons de toute cette histoire. «Les événements de dimanche sont une démonstration par un groupe composé de criminels et de jeunes qui suivaient. Sans avoir un objectif commun, ces jeunes nous ont livré un message: il faut être à l'écoute et voir si on peut améliorer certaines de nos interventions. Les événements d'hier étaient une rébellion contre l'ensemble du système», a résumé le directeur Yvan Delorme.

Avec Philippe Orfali.