La décision de l'ex-ministre de la Santé Philippe Couillard de se joindre à un fonds d'investissement privé en santé ne laisse personne indifférent. D'un côté, il y a ceux qui disent comprendre cette décision. De l'autre, ceux qui ont du mal à interpréter ce choix pour le privé. Et puis, entre les deux, plusieurs se demandent si M. Couillard n'est pas en train de violer la loi sur le lobbyisme.

L'embauche de l'ancien ministre Philippe Couillard par une entreprise privée de soins de santé soulève pour plusieurs de nombreuses questions d'éthique. Même s'il se conforme à la directive imposée aux anciens ministres, les sceptiques estiment qu'il y a là apparence de conflit d'intérêts.

Moins de deux mois après son retrait de la vie politique, M. Couillard a confirmé hier qu'il se joignait au fonds d'actions Persistence Capital Partners (PCP), propriétaire des cliniques Medisys, afin de développer davantage les soins de santé privés au Canada.

«À titre de ministre, il a contribué à mettre en place un certain nombre de décisions qui favorisent l'essor du privé. Deux mois après avoir été le parrain de ces initiatives, il se place dans une situation où il va pouvoir en profiter personnellement, estime le porte-parole du Parti québécois en santé, Bernard Drainville. La décision qu'il a pris ne respecte pas l'esprit de la loi, qui est de s'assurer que quelqu'un qui a eu accès à des informations privilégiées ne s'en serve pas à des fins lucratives.»

La loi sur le lobbyisme interdit à M. Couillard de faire des représentations auprès du gouvernement pendant deux ans. La directive imposée aux ex-ministres stipule en plus qu'il ne peut donner à quiconque des renseignements ou des conseils fondés sur de l'information qu'il aurait eue dans l'exercice de ses fonctions de ministre.

Pour l'éthicien et philosophe Daniel Weinstock, l'ancien ministre s'est placé dans une situation délicate en acceptant ce poste. «Sans douter de la bonne foi personnelle de Philippe Couillard, ça va être tout un contrat de respecter à la fois l'attente légitime de l'employeur et l'exigence de la loi, souligne M. Weinstock. Je ne suis pas sûr qu'il existe énormément de marge de manoeuvre entre les deux.»

La directive maintient selon lui un flou qu'il faudrait corriger. «Comment on définit à quel moment il est question d'expérience, et à partir de quand ça devient de l'information privilégiée?» s'interroge le spécialiste, qui dirige la chaire de recherche en éthique et philosophie politique de l'Université de Montréal.

Plus nuancé, le politologue Denis Saint-Martin estime qu'il faut présumer de la bonne foi de l'ancien ministre. Mais le problème, ajoute-t-il, c'est qu'il n'y a aucun moyen de s'assurer que la directive est respectée. «On ne peut pas se transformer en petit oiseau pour aller vérifier», explique-t-il. Et il ne faut pas se leurrer, selon M. Saint-Martin, professeur à l'Université de Montréal. En embauchant Philippe Couillard, «cette entreprise-là achète un carnet d'adresses et un réseau de contacts», estime-t-il.

Une question de marketing?

La présidente de la CSN, Claudette Carbonneau, craint pour sa part que l'association du Dr Couillard à la firme PCP et aux cliniques Medisys ne serve surtout à faire tomber les objections et mieux vendre le privé en santé à la population. «Derrière ce recrutement, il y a une question de marketing», dit-elle, ajoutant que l'ex-ministre a «manqué à son devoir de réserve».

Porte-parole du parti Québec solidaire, Amir Khadir décrie la nouvelle fonction de M. Couillard, qui est selon lui une «une façon détournée de faire du lobbying» pour le privé en santé. «Dans l'année suivant sa démission, un ministre devrait s'abstenir d'oeuvrer dans un domaine qui est lié au domaine qu'il dirigeait en tant que ministre», soutient M. Khadir.

Le principal intéressé rejette d'un revers de main les critiques au niveau éthique, estimant que si lui ne peut pas faire de représentations auprès du Ministère, rien n'empêche son entreprise de le faire.

Son nouvel associé, le directeur de PCP, Sheldon Elman, promet de respecter «strictement» les règles, quitte à ce que M. Couillard se concentre au début davantage sur les autres provinces. «L'expérience de Philippe va nous aider à mieux nous positionner à travers le pays», soutient M. Elman.

Mais la directive aux anciens ministres stipule aussi que M. Couillard ne doit pas avoir eu des «rapports officiels directs et importants» dans la dernière année avec son futur employeur. Or, le ministre admet avoir eu «des rencontres» avec les gens de PCP pour discuter «largement» du système de santé.

«On a vu qu'on avait une communauté de vues sur plusieurs sujets. Mais ce n'est qu'après ma démission que les choses se sont formalisées», précise l'ancien ministre, qui a quitté la politique le 25 juin dernier.

Au cabinet du premier ministre Jean Charest, on soutient que toutes les vérifications ont été faites pour s'assurer que M. Couillard soit en conformité avec les directives et lois en vigueur. «M. Couillard a toujours fait preuve d'un grand sens de l'éthique. Pour nous, il n'y a pas de doute qu'il va entreprendre son nouvel engagement selon les mêmes prémisses», soutient Jonathan Trudeau, conseiller aux communications.

Le nouveau ministre de la Santé, Yves Bolduc, a été prudent dans ses commentaires. Il a rappelé que M. Couillard a toujours défendu le système public et qu'il risque bien de continuer à le faire à l'avenir.

Critique de l'opposition officielle en matière de santé, Éric Caire a pour sa part salué le passage de M. Couillard dans le secteur privé. «M. Couillard a toujours défendu le système public. Et là, il va au privé. Donc il cautionne le fait que le meilleur système de santé est mixte, une chose que l'ADQ prône depuis longtemps», souligne-t-il. M. Caire ajoute qu'il ne croit pas que M. Couillard «profitera de grands secrets d'État pour orienter favorablement sa nouvelle compagnie».