Le ministre fédéral de la Santé, Tony Clement, s'est trouvé un allié inattendu dans sa croisade contre les sites d'injection supervisés : son homologue québécois, Yves Bolduc, qui renonce à implanter de tels centres au Québec. L'Action démocratique applaudit et promet, si elle est élue, d'aller encore plus loin : elle coupera les vivres aux organismes qui distribuent du matériel d'injection propre.

«Pour l'instant, nous n'irons pas de l'avant avec ce projet», a déclaré le ministre Bolduc.

Le critique en matière de santé de l'ADQ était extrêmement satisfait. « Heureusement, le ministre a mis ses culottes et arrêté cette folie-là », dit Éric Caire, qui estime qu'un tel lieu contribuerait à la « banalisation » des drogues dures. Dans le même esprit, M. Caire remet en question le travail des 787 organismes communautaires qui distribuent, chaque année, près d'un million et demi de seringues propres. « Les organismes qui distribuent du matériel ne font pas toujours le suivi de leur clientèle. On ne peut pas dire à ces gens-là (les toxicomanes) moi, je vais t'aider à te détruire. J'ai un problème avec ça », dit-il.

Un grand ménage, donc, si l'ADQ était portée au pouvoir ? « Il y aurait certainement beaucoup de choses à faire. »

La position du nouveau ministre de la Santé, dévoilée dans Le Devoir d'hier, constitue un revirement complet, puisqu'il y a à peine un mois, le directeur national de la santé publique, Alain Poirier, indiquait à La Presse que l'ouverture d'un site d'injection supervisé pourrait se faire dès l'automne à Montréal. On retrouve 23 000 usagers de drogues injectables dans la métropole. Le docteur Poirier n'était « pas disponible » hier.

Le directeur de la santé publique de Montréal, Richard Lessard, a lui aussi préféré garder le silence. M. Lessard était signataire, comme 129 autres praticiens canadiens de la santé, d'une lettre parue dans un grand journal médical qui dénonçait la croisade « idéologique » des politiciens contre les sites d'injection. « La santé du pays est mise en péril si nos politiciens ignorent des résultats de recherche probants parce qu'ils ne vont pas dans le sens de leur idéologie ou leurs idées préconçues », écrivaient-ils.

La nouvelle position du ministre Bolduc s'aligne parfaitement, en revanche, sur celle de son homologue fédéral, Tony Clement, qui multiplie depuis quelques semaines les déclarations incendiaires contre le site d'injection supervisée de Vancouver, le seul qui existe au Canada. Le ministre a même mis en doute l'éthique de ceux qui travaillent au site de Vancouver.

Pourquoi une telle décision au Québec ? «Il n'y a pas de consensus médical sur cette question», dit le ministre Bolduc, qui estime que les médecins canadiens sont «divisés» sur cette question.

Ce qui est faux, soulignent tous les experts que nous avons joints. « C'est une décision qui ne correspond pas au consensus national et international de santé publique. Oui, il y a une autre école de pensée. Mais elle est totalement minoritaire », observe le docteur Réjean Thomas, de la clinique l'Actuel, spécialiste du VIH-sida. L'Organisation mondiale de la santé et l'ONU sont en faveur de l'implantation de tels sites, souligne-t-il.

À Vancouver, au seul site d'injection supervisé au Canada, on a rapidement traité 500 usagers victimes d'une surdose. Sans cette aide immédiate, plusieurs seraient vraisemblablement morts. De tels centres freinent aussi la propagation de maladies infectieuses. Près de 20 % des usagers montréalais de drogues injectables ont le virus du sida et 90 % d'entre eux ont aussi l'hépatite C.

Les piqueries supervisées limitent également les seringues souillées qui traînent dans le paysage de certains quartiers et réduisent la criminalité, fait observer la docteure Suzanne Brissette, médecin-chef du service de la médecine des toxicomanies au CHUM. « En plus, en attirant une population qui n'est pas, de prime abord, intéressée par un traitement, ces sites permettent aux toxicomanes d'apprivoiser doucement le réseau de la santé. Et ça, c'est très précieux. »

« Je reviens de Barcelone. Là-bas, dans les quartiers durs, les populations réclament des sites d'injection puisque les gens voient bien que ça réduit la criminalité. Il y a des sites d'injections mobiles où on distribue aussi de la méthadone », souligne Nicole McNeil, directrice générale de l'Anonyme, un groupe communautaire qui distribue du matériel d'injection à bord d'un motorisé qui roule dans les rues de Montréal.