Le Québec doit agir dès maintenant pour intégrer le maximum de citoyens au marché du travail car l'immigration et la natalité n'arriveront pas à compenser les effets du choc démographique qui est à nos portes.

Une analyse rendue publique mercredi par le département d'études économiques du Mouvement Desjardins démontre que l'économie québécoise aura du mal à trouver la main-d'oeuvre requise à compter de 2013.

C'est à compter de cette année, selon les projections de Statistique Canada, que la population âgée de 15 à 64 ans, celle en âge de travailler, commencera à décliner au Québec en raison des départs massifs à la retraite de baby-boomers et d'un nombre insuffisant de jeunes pour les remplacer.

L'agence fédérale précise que, même si le vieillissement de la population touche tout le Canada, le phénomène est plus marqué au Québec en raison d'un plus grand nombre de naissances durant le baby-boom. Ainsi, contrairement à celle du Québec, la population de 15 à 64 ans en Ontario et dans le reste du Canada continuera de croître à compter de 2013, quoiqu'à un rythme moins rapide.

Le gouvernement de Jean Charest a déjà annoncé qu'il entend augmenter le nombre annuel d'immigrants pour le porter à 55 000 d'ici 2010 afin de compenser en partie ce manque de travailleurs.

Toutefois, selon Hélène Bégin, économiste principale au Mouvement Desjardins, l'immigration ne viendra même pas près de combler les besoins.

«Les calculs des démographes de Statistique Canada montrent qu'il faudrait 300 000 immigrants par année au Québec pour empêcher une baisse du bassin de main-d'oeuvre, dit-elle. C'est à peu près l'immigration totale canadienne et c'est impossible à atteindre. Par contre, même si ce n'est pas la solution, c'est une partie de la solution.»

Un autre élément de solution, bien que difficile à contrôler, est le taux de fécondité, que Québec cherche à encourager par le biais de services de garde accessibles et de congés parentaux plus généreux. Cette approche s'est d'ailleurs montrée efficace au-delà de toute attente, alors que le Québec a connu, avec 84 200 naissances en 2006, une hausse de 8 pour cent. Ce rythme ne s'est toutefois pas maintenu en 2007, la croissance chutant à 3 pour cent et les données préliminaires de 2008 laissent entrevoir une progression similaire à l'an passé.

Quoiqu'il en soit, le taux de fécondité n'a augmenté que de 1,5 à 1,7 enfant par femme depuis 2005, ce qui est encore loin des 2,1 requis pour remplacer la population et, de toute façon, même ce taux ne solutionnerait pas le problème à court ou moyen terme, souligne Mme Bégin.

«Puisque le bassin de main-d'oeuvre est âgé de 15 à 64 ans, même si on augmentait la fécondité, ça prendrait une vingtaine d'années avant d'avoir un effet, précise-t-elle. La fécondité peut être une solution à très long terme, alors qu'on s'en va vers une baisse du nombre de travailleurs dans cinq ans.»

Il est donc essentiel, selon l'économiste, de trouver des moyens pour accroître ce bassin en augmentant la part de la population en emploi. Pour ce faire, les gouvernements doivent oeuvrer sur plusieurs fronts, à commencer par une meilleure intégration et une meilleure rétention des travailleurs immigrants, dont une proportion importante continue de quitter le Québec pour d'autres provinces, notamment l'Ontario, après quelques années.

Mme Bégin souligne néanmoins les efforts du gouvernement Charest pour intégrer les quelque 400 000 personnes sans emploi mais aptes et disponibles au travail, un potentiel dont le Québec ne pourra plus se priver, selon elle.

Elle suggère également de trouver des moyens pour faciliter l'accès au travail de travailleurs atypiques, comme les femmes ayant de jeunes enfants ou les gens ayant des horaires irréguliers, en augmentant par exemple l'offre de services de garde les soirs et fins de semaine.

Elle estime enfin qu'il serait nécessaire d'encourager davantage les travailleurs à demeurer actifs plus longtemps en éliminant au maximum les obstacles à la retraite partielle ou même en repoussant l'âge de la retraite.

Mme Bégin souligne qu'il y aura des gagnants et des perdants de cette rareté de main-d'oeuvre. Les jeunes, notamment, y trouveront leur compte.

«Déjà, les jeunes ont beaucoup plus de facilité à se placer et ça va s'accentuer au cours des prochaines années, dit l'économiste. Pour eux, c'est très encourageant. Ils ont un bel avenir et pas seulement avec des formations universitaires, mais aussi dans les emplois techniques et les métiers. Il va y avoir de l'emploi dans l'ensemble des catégories.»

À l'opposé, la rareté risque de pousser les salaires à la hausse, ce qui aura probablement pour conséquence d'aggraver la situation du secteur manufacturier exportateur, indique Mme Bégin.

«L'augmentation des salaires, à notre avis, va favoriser davantage le déplacement du secteur manufacturier dans des pays où les salaires sont plus faibles. Et c'est certain que le déclin du secteur manufacturier qui est déjà commencé va se poursuivre et c'est vraiment le secteur des services qui va prendre le relais. C'est un peu la continuité de ce qu'on observe actuellement, mais ça pourrait donner un plus grand coup, selon que les entreprises arrivent à s'ajuster ou non», précise-t-elle.

Cette situation pourrait être particulièrement problématique pour les PME, qui sont davantage sensibles aux fluctuations salariales à la hausse.