Le premier ministre Stephen Harper a menacé hier de faire tomber son propre gouvernement, faisant monter la tension d'un cran en vue de la reprise des travaux parlementaires à l'automne. Il s'agit d'une rare, sinon la seule fois où il a lui-même évoqué cette possibilité depuis le début de son mandat.

«Bien franchement, je crois que je vais devoir prendre une décision très prochainement, à savoir si le Parlement est capable d'être productif», a lancé M. Harper à des journalistes à Terre-Neuve.

Le premier ministre se plaint d'être coincé entre deux partis qui souhaitent le faire tomber et un autre, le Parti libéral, qui hésite encore. «Ultimement, dans un gouvernement minoritaire, pour réussir à faire avancer les choses, vous devez avoir l'appui d'au moins un des partis de l'opposition», a-t-il fait remarquer.

«M. Dion dit qu'il n'appuie pas notre gouvernement, mais il refuse de dire s'il nous renversera ou non. Je ne crois pas que ce soit une situation soutenable. Je crois que M. Dion devra prendre une décision.»

Les comités montrés du doigt

Kory Toneycke, le directeur des communications de Stephen Harper, a expliqué l'exaspération de son patron par la situation qui prévaut dans les comités parlementaires.

Le comité de la justice, par exemple, ne siège plus depuis plusieurs mois parce que certains de ses membres souhaitent se pencher sur des allégations de pots-de-vin offerts par des dirigeants conservateurs au député indépendant Chuck Cadman en 2005. Les conservateurs s'y opposent.

Le comité de l'éthique a exceptionnellement siégé pendant six jours durant l'été pour entendre des témoins dans l'affaire du « in and out », qui touche des dépenses électorales possiblement illégales du Parti conservateur. Les quatre journées d'audiences ont attiré leur part de manchettes négatives pour les troupes de Stephen Harper.

Camoufler les scandales

Le Parti libéral a réagi à la sortie de Stephen Harper en la qualifiant d'hypocrite.

«C'est lui qui nous disait qu'il voulait gouverner... Mais une analyse objective démontre qu'il y est quand même parvenu», a lancé le député du Nouveau-Brunswick Dominic Leblanc.

«Maintenant, parce qu'il ne peut plus camoufler ses scandales, il va aller trouver la gouverneure générale ? Il se contredit pas mal vite.»

Il y a quelques semaines, Stéphane Dion a changé de ton en laissant entendre que les Canadiens voulaient maintenant des élections. Pendant près d'un an, pour justifier de laisser passer plusieurs projets de loi ou mesures budgétaires controversées, le chef libéral a affirmé que les électeurs n'étaient pas prêts à retourner aux urnes.

La volte-face de M. Dion a emmené Stephen Harper à lui lancer : «Fish or cut bait!», lors du dernier caucus de son parti dans la région de Québec, à la fin juillet. En d'autres termes : «Laissez-nous gouverner ou renversez-nous.»

«Il a clarifié le message envoyé à Québec», a déclaré son porte-parole Kory Toneycke, à propos de la sortie d'hier de M. Harper.

Plusieurs scénarios

Plusieurs scénarios se présentent donc pour les formations politiques fédérales dans les mois à venir. Il y a évidemment le statu quo. Mais les récentes déclarations de MM. Harper et Dion laissent croire qu'il est de moins en moins possible.

S'ils ne veulent pas permettre à Stephen Harper de lui-même provoquer des élections, les partis d'opposition pourraient en prendre eux-mêmes l'initiative. Il faudrait qu'ils obtiennent des journées de l'opposition pour présenter une motion de défiance.

Ils pourraient autrement voter contre le gouvernement lors d'un vote de confiance lié à un projet de loi comme C-10, qui retirerait des crédits d'impôts aux productions cinématographiques jugées contre l'ordre public. Même chose pour l'une des nombreuses initiatives de justice criminelle que le ministre de la Justice, Rob Nicholson, a encore une fois promis d'introduire au Parlement.

Une chose est sûre : l'appui de tous les partis sera nécessaire si l'opposition souhaite défaire le gouvernement. Hier, le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, a rappelé que sa formation favorisait une approche au cas par cas en la matière. «C'est sûr que s'ils demandent si nous avons encore confiance en cette chambre, c'est clair, net, précis. C'est non», a cependant indiqué M. Duceppe.

De son côté, le NPD a été encore plus catégorique. «Le temps du gouvernement Harper est arrivé et on a essayé de le faire tomber pendant quelques mois avec aucun appui de la part de M. Dion. Alors, je l'invite maintenant à se joindre à nous», a déclaré le chef Jack Layton.

Stéphane Dion n'était pas disponible pour répondre à ses adversaires ou préciser ses intentions, hier.

Remontée des libéraux ?

Ces démonstrations de force surviennent au moment où un nouveau sondage laisse voir une remontée des libéraux dans la faveur populaire.

Mené par la maison Harris Décima entre le 7 et le 10 août pour La Presse Canadienne, le coup de sonde montre que les appuis au Parti libéral ont légèrement augmenté, à 33%, mais restent presque à égalité avec les conservateurs, qui sont à 32%.

Le sondage téléphonique a été mené auprès de 1000 Canadiens. La marge d'erreur est de plus ou moins 3,1 points de pourcentage, 19 fois sur 20.

Cette marge d'erreur est plus importante pour les sous-échantillons provinciaux et régionaux. Pour le Québec, par exemple, les résultats placent les libéraux en tête avec 30% des intentions de vote, tout juste devant le Bloc québécois (29 %), les conservateurs (24%), les verts (8%) et le NPD (6%).

Ces chiffres diffèrent du dernier sondage CROP-La Presse mené il y a moins de deux mois auprès de 1001 répondants, au Québec seulement. Le Bloc québécois y était en avance avec 29%, suivi du Parti conservateur, à 26%. Les libéraux, pour leur part, ne récoltaient que 21% d'appuis. Ils étaient talonnés par le Nouveau Parti démocratique (17%).

- Avec la collaboration de Nathaëlle Morissette.