Pour qu'on ait un portrait précis des ravages de la listériose au Québec, encore faudrait-il que les médecins déclarent les cas qui leur passent entre les mains. Et que l'information soit relayée au ministère de l'Agriculture. Mais ce n'est pas toujours le cas, et l'incertitude perdure. Dans la population, mais aussi chez les fromagers, qui plaident que les rares contaminations de fromages au lait cru recensées sont probablement survenues ailleurs que chez eux.

D'autres failles apparaissent dans les règles de surveillance de la listériose. Les autorités de la santé publique ignorent le nombre exact de cas d'infection à la bactérie Listeria. Les médecins ne les déclarent pas tous, puisqu'ils ne sont pas obligés de le faire. Et contrairement à ce qu'affirme Québec, les autorités de la santé publique, une fois alertées, ne préviennent pas toujours le ministère de l'Agriculture pour que ses inspecteurs tentent de déterminer l'origine de la contamination.

Une enquête sur la mort de Raymond-Marie Morin, survenue jeudi dernier et causée par des complications liées à la listériose, démontre encore un peu plus que le système de surveillance de Québec est défaillant.

Hier, La Presse a révélé que les autorités de la santé publique n'ont pas rencontré la famille de M. Morin presque une semaine après son décès. Québec assurait pourtant que les proches d'une victime étaient joints rapidement. Mais il y a plus.

Jamais la direction de la santé publique de l'Agence de la santé et des services sociaux de la Montérégie n'a prévenu le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation (MAPAQ) qu'un cas de listériose avait été signalé. Les inspecteurs n'ont donc pu se rendre au domicile de M. Morin, où habite toujours sa conjointe Rosanne Dessureault, pour tenter de trouver l'origine de la contamination.

«On n'était pas au courant de ce cas-là, a confirmé hier le porte-parole du MAPAQ, Guy Auclair. Si le ministère de la Santé ne nous prévient pas, on ne peut pas agir.»

Le MAPAQ pas au courant

Pourtant, mercredi, le directeur de la protection de la santé publique du ministère de la Santé, Horacio Arruda, se trouvait aux côtés de M. Auclair et annonçait aux médias qu'une mort liée à la listériose était survenue en Montérégie, sans toutefois révéler l'identité de la victime. Et le MAPAQ n'était pas au courant de ce cas? Les communications semblent défaillantes entre les deux ministères.

Plus troublant encore, comme l'a finalement confirmé Québec hier, Raymond-Marie Morin, mort à l'âge de 71 ans, est bel et bien la deuxième victime qui pourrait avoir contracté la bactérie Listeria associée aux produits Maple Leaf. MM. Arruda et Auclair ont affirmé mercredi, au moment où l'identité de la victime était secrète, que ce décès était sous «analyse». Dans les faits, les inspecteurs du MAPAQ ne sont pas dans le coup.

La directrice de la santé publique de la Montérégie, Jocelyne Sauvé, a expliqué à La Presse que son organisme n'a pas cru pertinent d'alerter le MAPAQ. «Le MAPAQ ne rentre pas dans la maison de tous les cas de listériose. Il faut d'abord, nous, qu'on fasse enquête (NDLR: ce n'est toujours pas fait). Et si on trouve des restes (d'aliments suspects), ce qui est rare, on contacte le MAPAQ», a-t-elle dit.

Or, mercredi, Horacio Arruda soulignait que le MAPAQ est prévenu dans «chaque cas» signalé aux autorités de la santé publique pour «aller immédiatement essayer d'identifier» la source de la contamination.

Hier, le ministre de la Santé, Yves Bolduc, s'est montré surpris de la situation, affirmant que «le MAPAQ est averti» dans tous les cas de contamination. Des vérifications seront faites afin de savoir pourquoi ce ministère n'a pas été mis au courant de la mort de Raymond-Marie Morin.

Québec répertorie jusqu'à maintenant 47 cas de listériose depuis le début de l'année. Cinq cas se sont ajoutés dans la journée d'hier seulement. Québec ignore toutefois le nombre exact de cas puisque les médecins ne sont pas tenus de les déclarer aux autorités de la santé publique. La listériose est bel et bien une maladie à déclaration obligatoire en vertu de la loi. Mais le règlement d'application de cette même loi prévoit que, pour la listériose, seuls les laboratoires faisant l'analyse de prélèvements sont obligés de signaler les cas qu'ils rencontrent. C'est une précision qu'a omis de faire le gouvernement depuis le début de la crise.

Relevé officiel inexact

«Ça peut arriver que des cas de listériose nous échappent, a reconnu Jocelyne Sauvé. Un médecin peut penser que c'est possible que son patient ait une listériose et décide de ne pas faire de test. Donc on n'a pas tous les cas d'infection à la listériose.»

Les autorités peuvent aussi ignorer que des personnes âgées ont succombé aux complications liées à la listériose si celles-ci n'ont subi aucun test sanguin.

Le relevé officiel du ministère de la Santé, réalisé grâce aux informations fournies par les directions régionales, répertoriait hier huit décès liés à la listériose depuis le début de l'année, dont aucun à Montréal. C'est inexact.

Interrogé par La Presse, le porte-parole de la Direction de la santé publique de Montréal, Blaise Lefebvre, a indiqué qu'un décès lié à la listériose est survenu dans la métropole depuis le 1er janvier, avant que le sujet ne fasse les manchettes. Le bilan est donc de neuf morts au Québec.