Les jeunes du «Bronx» de Montréal-Nord les appellent les «rats». Les organismes communautaires, eux, parlent du «projet Éclipse». Peu importe les mots choisis, tous montrent du doigt cette nouvelle unité policière pour expliquer la tension croissante entre la police et les citoyens du secteur nord-est de Montréal-Nord.

Beaucoup d'efforts et d'argent ont été investis ces deux dernières années pour que le surnom du «Bronx» cesse de coller à ce coin de Montréal-Nord. Au coût de 12 millions de dollars, on a construit la Maison culturelle et communautaire au coeur du lieu des émeutes du week-end, au coin des rues Rolland et Pascal. Mais les organismes trouvent que le projet Éclipse est en train d'éclipser leurs efforts.

Cette unité mobile formée de 66 policiers a été créée en juin pour prêter main forte aux autres unités du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), tant dans la rue que dans le métro. L'unité est financée grâce à une enveloppe de 37 millions dégagée par le ministère de la Sécurité publique du Québec au SPVM pour lutter contre les gangs de rue.

«Avant Éclipse, le dialogue était meilleur. Depuis l'arrivée de ces policiers dans le quartier, les tensions ont monté. C'est délicat à dire, mais les interventions policières sont moins adéquates», affirme avec aplomb la coordonnatrice du projet Un itinéraire pour tous, Linda Therrien. Le projet Un itinéraire pour tous regroupe les principaux organismes communautaires du secteur nord-est de Montréal-Nord sous un même toit: celui de la Maison culturelle et communautaire. Cette dernière est voisine de la caserne de pompiers vandalisée pendant les débordements de dimanche soir.

La présidente de la Table de concertation jeunesse de Montréal-Nord, Christine Black, a eu des échos similaires depuis le début de l'été. «Les interventions répressives se sont intensifiées. Des jeunes disent qu'ils sont victimes de profilage», indique Mme Black, aussi directrice du centre des jeunes l'Escale.

Même son de cloche du côté de Jethro Auguste, responsable du centre culturel Culture X, un service d'intégration jeunesse pour les 16-24 ans. «Pour moi, ce n'est pas une réaction seulement à ce qui s'est passé samedi, mais à la répression policière dans le quartier.»

Brunilda Reyes, coordonnatrice des Fourchettes de l'espoir, restaurant qui offre des repas à 3$ aux défavorisés du quartier, se questionne sur la formation des policiers du projet Éclipse: «C'est clair que, par moments, la communication ne passe pas entre les jeunes et la police.»

«Le cri d'alarme dans le quartier, ce n'est pas le cri d'un gang de rue. C'est le cri d'une communauté fatiguée du profilage racial», a ajouté Mélanie Carpentier, une jeune femme qui s'est déjà prostituée pour un gang, aujourd'hui conférencière dans les écoles secondaires de Montréal.

Avant les événements tragiques du week-end, l'été avait été plus calme que d'habitude dans les parcs du secteur, ont tout de même noté les responsables des organismes communautaires. Début juin, Un itinéraire pour tous a réussi à réunir des membres du gang des Bloods (ou Rouges) et leurs familles pour une fête de voisins. «C'est devenu bien rouge, mais il n'y a pas eu d'incident. Les gars étaient là pour faire de la musique», raconte Mme Therrien. Les organismes prônent ce genre d'activité pour apaiser les tensions dans le secteur.

Invectives

Hier, les adolescents qui traînaient sur les lieux des émeutes ne se gênaient pas pour invectiver les nombreux policiers présents. «Vous êtes tous des rats. Fuck you all», a lancé un jeune Noir à une policière posté au coin de la rue Maurice-Duplessis et du boulevard Langelier. «On se fait insulter à la journée longue. C'est Montréal-Nord», a dit la policière, questionnée par La Presse sur ce qui venait de se passer.

Le secteur du «Bronx», un surnom que les résidants eux-mêmes utilisent pour désigner leur quartier, est densément peuplé: 24 000 résidants au kilomètre carré. C'est deux fois plus que le Plateau-Mont-Royal. Ce secteur est le plus pauvre de Montréal-Nord. Les logements à prix modiques, souvent insalubres, y sont légion. La vente de stupéfiants est un fléau, toujours selon les organismes du secteur.

Le maire de l'arrondissement, Marcel Parent, a minimisé les problèmes sociaux du quartier, hier, au cours d'une conférence devant la Maison culturelle et communautaire. Pour lui, son arrondissement n'est pas pire que Saint-Michel, Rivière-des-Prairies ou Côte-des-Neiges. «Montréal-Nord est un endroit où il fait bon vivre. Il faut être conscient que Montréal-Nord, c'est 85 000 habitants. Il ne faut pas juger Montréal-Nord par un coin chaud», a-t-il dit.

«On pensait avoir remonté la pente. C'est désolant. Il va falloir se retrousser les manches», a ajouté le conseiller Jean-Marc Gibeau, aussi membre de la commission sur la sécurité publique.

En plus des organismes communautaires, les partis d'opposition à l'Assemblée nationale se questionnent sur le projet Éclipse. «Est-ce qu'on a vraiment tous les 66 policiers en fonction? Est-ce que ça fonctionne vraiment? Est-ce que ce sont eux qui étaient sur le terrain, hier? Il y a beaucoup de questions sans réponse», a dit le porte-parole du Parti québécois en matière de sécurité publique, Jacques Côté. Le projet est arrivé «trop tard», selon l'Action démocratique du Québec.

«Oui, je crois que le programme Éclipse fonctionne», a répondu la députée de Bourassa-Sauvé, Line Beauchamp, avant d'ajouter qu'il faut laisser la chance au coureur. «Si on n'avait pas accordé de sommes supplémentaires, d'importantes arrestations n'auraient pas eu lieu.»

Le phénomène des gangs de rue dans Montréal-Nord fait régulièrement les manchettes. Les Bo-Gars (Rouges) y faisaient la loi il y a près de 20 ans. Le procès du gang de la rue Pelletier, le premier inculpé de gangstérisme au Canada, a révélé que deux des accusés vendaient du crack dans les rues Rolland et Langelier. Cet été, le quartier a été le théâtre d'affrontements entre les Bloods (la nouvelle génération des Bo-Gars) et la mafia italienne. Il y a trois mois, une voiture de police a aussi été la cible d'un tireur.