Les policiers ne veulent pas s'expliquer une nouvelle fois sur la mort de Mohamed Anas Bennis et prennent les grands moyens pour y arriver: leur fraternité a déposé une poursuite en Cour supérieure pour faire annuler la tenue de l'enquête publique ordonnée en juin par la coroner en chef, Louise Nolet.

Mohamed Anas Bennis, 25 ans, a été tué par deux coups de feu tirés par des policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) le 1er décembre 2005. Le Canadien d'origine marocaine avait - apparemment sans raison - attaqué et blessé un agent avec un couteau de cuisine, alors qu'il quittait une mosquée dans le quartier Côte-des-Neiges.

L'enquête du Service de police de la Ville de Québec n'a retenu aucun blâme contre les policiers, tout comme le procureur de la Couronne qui n'a pas déposé d'accusation criminelle contre les agents. Une plainte privée de la famille Bennis, contestant la décision de la Couronne, a été rejetée par la Cour du Québec. Le Commissaire à la déontologie policière n'a rien reproché aux policiers, tout comme le Comité de déontologie policière qui a révisé cette décision.

Enfin, le coroner Rafaël Ayllon a remis un rapport le 30 juin 2006 qui concluait que M. Bennis s'en est pris aux policiers sans raison apparente.

La famille, qui affirme que Mohamed Anas Bennis n'avait pas un tempérament violent, conteste la version des faits des policiers. L'annonce de la tenue d'une enquête publique du coroner cet automne pour faire toute la lumière sur les circonstances de la mort de M. Bennis avait été accueillie avec soulagement. La Fraternité des policiers, elle, avait dénoncé le «gaspillage» de fonds publics.

Dans la poursuite déposée mercredi, la Fraternité allègue que la décision de la coroner en chef Nolet est «illégale» puisqu'elle est «tardive». L'annonce a été faite le 3 juin dernier, soit deux ans après le dépôt du rapport du coroner Ayllon.

«La Loi prévoit que si, au cours ou à la suite de son investigation, le coroner est d'avis qu'une enquête publique serait utile, il en fait aussitôt la recommandation au coroner en chef», est-il inscrit dans la poursuite. «En l'espèce, il n'y a eu aucune telle recommandation et le Bureau du coroner (...) n'a pas jugé utile ou approprié de décréter la tenue d'une enquête publique avant le 3 juin 2008.» Bref, affirme la Fraternité, la coroner en chef «n'a pas agi avec la diligence qu'exige la Loi».

Une enquête «inutile»

De plus, selon la poursuite, l'enquête publique est «parfaitement inutile». Les causes et circonstances du décès sont bien connues, allègue la Fraternité. De plus, le commissaire à la déontologie policière poursuit son enquête pour savoir si les agents auraient dû utiliser d'autres moyens que leur arme à feu pour maîtriser M.Bennis. La Fraternité souligne toutefois que toutes les enquêtes menées à ce jour en arrivent à la même conclusion: le recours à l'arme de service était, dans ce cas-ci, «parfaitement justifié».

«Quant aux recommandations visant une meilleure protection de la vie humaine, nul besoin d'une enquête publique pour formuler la seule recommandation évidente et possible au vu des circonstances énoncées plus haut: ne jamais attaquer un policier, et encore moins avec un couteau.»

Yves Francoeur, président de la Fraternité des policiers et policières de la Ville de Montréal, a qualifié hier l'enquête publique «d'acharnement». «Il y a déjà six organismes publics qui ont fait enquête. Ça va en prendre combien encore?» L'enquête publique annoncée mine le moral des troupes policières, dit M. Francoeur, et particulièrement celui du policier qui a été blessé au cou et à la jambe lors de l'incident. «Contrairement à ce que certains peuvent penser, ce n'est pas facile de vivre un événement comme celui-là», dit M. Francoeur. «Dans quatre mois, ça va faire quatre ans que c'est arrivé. Quand vous avez été impliqué dans un événement comme ça, quatre ans plus tard, vous n'avez plus le goût d'en entendre parler.»

Avoir des réponses

À la suite de l'annonce de la tenue de l'enquête publique, la famille s'était réjouie. «Cette enquête est nécessaire, avait affirmé Najlaa Bennis, la soeur du défunt. On veut connaître les circonstances de la mort de mon frère. On veut aussi connaître les résultats de l'enquête des policiers, et savoir si les moyens utilisés par les agents étaient appropriés.»

Le rapport d'enquête des policiers de Québec n'est pas public; la famille ne l'a jamais vu. Hier après-midi, Najlaa Bennis était indignée. «Mais qu'est-ce qu'ils ont à cacher pour vouloir court-circuiter une enquête publique? a-t-elle demandé. La meilleure façon d'améliorer l'image des policiers est d'être transparent.» Sa famille est sans réponse depuis plus de trois ans, dit-elle. «Si mon frère avait été blessé plutôt que tué, il aurait pu poursuivre et avoir des réponses à ses questions.»

Le Bureau du coroner, qui étudiait la poursuite hier après-midi, n'a pas fait de commentaire.