Prostitution juvénile, trafic d'armes, vente de drogues et fusillades, les gangs de rue de Longueuil jouent dans la cour des grands criminels. Et ils rôdent près des foyers de la DPJ, à la recherche d'adolescentes vulnérables qu'ils recrutent comme danseuses nues. De leur côté, les élus, la police, le centre jeunesse et le Forum jeunesse de la Montérégie s'unissent dans l'espoir de tirer leurs adolescents des griffes des gangs.

Depuis quelques mois, un foyer de groupe pour adolescentes en difficulté de Longueuil a de nouveaux voisins. Le genre de voisins dont le foyer de la DPJ se serait passé: de jeunes gangsters.

Ce foyer est situé dans un quartier défavorisé miné par le trafic de drogue. Nous tairons son emplacement exact pour ne pas nuire à la sécurité des jeunes filles. Le déménagement de deux membres de gang dans le secteur n'a rien d'un hasard. «Des filles partent en fugue et trouvent refuge non loin. On les retrouve VRAIMENT tout près», s'inquiète Florence Pizzin, chef de service en réadaptation au centre jeunesse de la Montérégie.

Le recrutement d'adolescentes à des fins sexuelles par des gangs de rue est devenu un fléau en Montérégie. À un point tel que les élus de cinq villes de la région, la police, le centre jeunesse et le forum jeunesse ont puisé dans leur budget respectif pour investir un peu plus d'un million de dollars en trois ans dans le projet Mobilis, comme l'a révélé La Presse le mois dernier. Leur plan combine répression et prévention.

Une rencontre avec la douzaine d'adolescentes hébergées dans le foyer de groupe de Longueuil confirme les pires craintes des élus. «Les recruteurs sont souvent autour des centres d'accueil. Ils savent que les filles ne veulent pas rester ici. Ils passent plusieurs fois en auto. Ils regardent quelle fille serait la meilleure pour eux», raconte Roxanne*, qui a l'air d'une joueuse de basket avec son grand coton ouaté à capuchon.

Les filles sont catégoriques : pas question d'appeler la police ou d'en parler à un enseignant. «À l'école, les profs ont des grandes gueules, ça va finir par se savoir que t'as snitché (dénoncé)», ajoute Roxanne. Une autre ado, Jannick*, se porte à la défense des gangs. «Parfois, les filles qui sortent avec les gars de gang mangent de la merde, mais elles ne seront pas obligées de faire quoi que ce soit. Dans un sens, ils les traitent comme de la merde, mais dans un autre sens, ils les traitent comme des princesses», raconte l'ado au regard dur.

Qui sont les filles recrutées par les gangs de Longueuil? «N'importe qui», dit l'une des adolescentes. «Une fille qui fugue d'un centre d'accueil», ajoute Jannick. Les autres se mettent à rire : «Comme toi, Jannick», dit l'une d'elles. Jannick hausse les épaules et poursuit: «La fille se ramasse au métro Longueuil. Un gars est là. Il va t'offrir une place pour coucher. Puis, il va t'acheter plein de choses.»

Les gars recrutent dans les polyvalentes de la Rive-Sud. «À l'heure du dîner, deux gars sont sortis de leur auto. Ils ont demandé à mon amie de venir chiller avec eux un soir», explique une autre ado. Pourquoi elle? «Mettons qu'elle ne s'habille pas beaucoup», raconte l'ado, habillée sexy elle aussi.

Proies faciles

La plupart de ces filles âgées de 14 à 17 ans ont été abandonnées par leur famille. «C'est en plein ces filles-là que les gars de gang cherchent. Des filles démunies financièrement et socialement. Les filles ont peu d'estime d'elles-mêmes. Elles sont peu scolarisées», raconte Mme Pizzin. De plus, ces filles n'ont pas une sexualité normale pour leur âge. «Elles font des trips de groupe, des orgies et du lesbianisme pour faire plaisir aux gars», indique l'intervenante sociale, qui a souvent l'impression de mener un combat inégal contre les gangs.

Les adolescentes provenant de mil ieux dé favor isés ne sont toutefois pas les seules proies des recruteurs. Celles de famil les plus a isées de Boucherville et de Saint-Bruno sont aussi ciblées. Des élus de l'agglomération de Longueuil sont d'ailleurs à l'origine du projet Mobilis. «Nos élus sont inquiets du phénomène des gangs de rue. On commence à voir du recrutement à la polyvalente de Saint-Bruno», explique le directeur général de la Conférence régionale des élus de Longueuil, Michel Bienvenu. Si des villes défusionnées et fusionnées parviennent à un «rare consensus», fait-il valoir, c'est que l'heure est grave.

Des mères d'adolescentes qui habitent aussi loin que Waterloo (à 100 km de Longueuil) appellent à l'aide au centre jeunesse de la Montérégie. «J'ai même conseillé des parents qui étaient eux-mêmes intervenants au centre jeunesse», indique Pascale Philibert, conseillère clinique spécialiste des gangs.

«La population s'imagine qu'il n'y a pas de prostitution juvénile à Longueuil parce qu'elle est cachée. Mais il y en a», affirme Marie-France Lamarche, intervenante à la maison de jeunes Kekpart, à Longueuil. Des filles appellent parfois à Kekpart sans savoir dans quelles villes leur proxénète les a emmenées. Elles ont été battues ou violées par plusieurs hommes.

Prévention

Pour prévenir ces drames, la maison de jeunes a mis sur pied le projet Sans P ni E (sans proxénète ni escorte) il y a 10 ans. Au coeur du projet de prévention : une tournée dans les écoles secondaires. Sauf que depuis deux ans, faute de fonds, Kekpart a suspendu sa tournée.

Avec le projet Mobilis, elle pourrait être ressuscitée cet automne.

De son côté la police de Longueuil veut accentuer la répression contre les proxénètes. Des enquêteurs spécialisés dans l'exploitation sexuelle des mineures à la police de Montréal leur ont transmis des renseignements troublants. Entre 100 et 200 victimes sous la coupe des gangs de rue provenaient de la Montérégie en 2005. Ces mêmes enquêteurs ont répertorié sur la Rive-Sud 16 proxénètes, 18 agences d'escortes et 21 salons de massage qui faisaient travailler des mineures.

Dans ce genre d'enquête, les écueils sont nombreux, admet la police de Longueuil. «On n'ira nulle part sans faire de suivi auprès des victimes après nos opérations policières», explique l'inspecteurchef, Marc Rodier. Le projet Mobilis permettra désormais à la police d'échanger des renseignements en toute légalité avec le centre jeunesse.

De plus, les fugueuses retrouvées par la police devront toutes rencontrer un intervenant du centre jeunesse. «Toutes les fugueuses ne vont pas rejoindre un gang, mais c'est une piste précieuse pour se rapprocher des victimes», estime pour sa part Claude Latendresse, responsable du projet Mobilis au centre jeunesse.

* Les noms des adolescentes ont été changés.