Notre journaliste Hugo Meunier et notre photojournaliste Martin Tremblay ont couvert durant six semaines l'an dernier les opérations militaires canadiennes à Kandahar, pendant le déploiement des troupes de Valcartier.

Ce matin-là, nous visitions l'hôpital du district de Spin Boldak, à la frontière entre l'Afghanistan et le Pakistan. Nous accompagnions l'équipe de reconstruction provinciale (ERP) de l'armée, qui supervisait la construction d'un puits dans la cour du bâtiment.

Comment oublier la scène ?

Un pauvre dromadaire tirait une corde pour ramener à la surface des seaux de terre, remplis par un ouvrier à 60 mètres de profondeur, dans un trou d'à peine un mètre de diamètre.

La méthode locale d'excavation.

Soudain, un coup de feu a résonné à quelques mètres de nous.

«Une attaque!» a-t-on aussitôt pensé, avant de prendre nos jambes à notre cou.

Mitraillettes aux poings, les soldats ont foncé tête baissée vers la rue.

Finalement, il s'agissait d'un coup de semonce tiré par les militaires canadiens restés à bord des blindés garés devant l'hôpital.

Un motocycliste s'approchait trop près d'eux à leur goût.

Un coup de feu dans l'asphalte, un moyen efficace de barrer la route.

Ce matin-là, personne n'a été blessé.

Mais les erreurs sont inévitables. Cette fois, la bavure a un visage. Un âge même, 2 et 4 ans.

Mais comment faire autrement?

C'est la guerre. Les soldats sont stressés. Les routes sont fréquentées. La circulation avance à pas de tortue et la paranoïa générée par les bombes artisanales ou les véhicules piégés est omniprésente.

Si un véhicule s'approche de trop près, les soldats peuvent appliquer les règles d'engagement. D'abord, tirer des coups de semonce, puis faire feu si le véhicule suspect s'aventure à moins de 10 mètres du convoi.

En théorie, c'est plutôt limpide.

En pratique, ça peut ressembler à de l'improvisation.

Durant notre périple, nous avons avalé des centaines de kilomètres de poussière à bord de convois, entassés durant des heures dans des véhicules blindés.

Puisque les routes ont tué la grande majorité des soldats canadiens, une ambiance de fin du monde règne à l'intérieur de ces boîtes à sardines métalliques. La chaleur est étouffante. Les occupants grillent les cigarettes à la chaîne. Tout le monde est sur le gros nerf, sauf quelques spécimens qui roupillent tranquillement.

Dans une telle ambiance, les soldats sont évidemment sur le qui-vive, le doigt sur la gâchette.

Et c'est dans de telles conditions que des erreurs surviennent.

Bien sûr, il y a des panneaux d'avertissement en bordure des routes et des messages diffusés à la radio. La consigne est claire: dégagez la chaussée au passage d'un convoi militaire.

Mais en contemplant le visage horrifié de certains Afghans au passage des convois, ou celui du motocycliste de Spin Boldak, il faut croire que la directive ne s'est pas rendue à tout le monde.

Et quand l'armée se promène sur une route, elle en prend possession. Les Afghans doivent docilement se conformer à ce code de la route imposé, parfois appliqué cavalièrement.

Des convois qui filent à vive allure sur une autoroute, devant lesquels les voitures se jettent littéralement sur l'accotement.

Dans les villes, c'est pire.

Si l'armée décide de visiter l'hôpital, elle gare le convoi devant la porte d'entrée. Les Afghans devront attendre la fin de cette visite avant d'emprunter à nouveau la route.

Et gare aux pressés qui ne peuvent se permettre d'attendre.

Bang! Coup de semonce.

Lors d'une visite de courtoisie à un chef de police de Spin Boldak, les soldats avaient même fait dévier la circulation tandis qu'ils se rendaient à pied à son palais. Leurs armes étaient pointées vers les véhicules afghans.

La manoeuvre avait créé un énorme bouchon à l'entrée de la toujours achalandée «friendship gate», une grande arche en briques délimitant le Pakistan et l'Afghanistan.

Difficile ensuite d'ajouter: «Nous venons en amis!»

Vers la fin de notre séjour, nous avons visité le camp Nathan Smith, près de Kandahar. C'est le quartier général de l'équipe de reconstruction provinciale.

À l'entrée du camp, il y avait un poste de contrôle surveillé en permanence par deux soldats canadiens.

Une fois par semaine, une file d'attente sans fin s'étirait devant l'entrée. C'était la journée des réclamations.

Les Afghans qui accusaient l'armée d'avoir entraîné des accidents de voiture, sorties de route ou autres bris matériels pouvaient venir y plaider leur cause.

L'armée, lorsqu'elle reconnaissait ses torts, consentait alors à remettre quelques centaines de dollars pour la réfection d'un toit ou l'achat d'un nouveau véhicule. En argent liquide seulement.

Une avocate de l'armée était chargée d'évaluer chaque demande. Lors de notre visite, elle nous a tout bonnement expliqué que l'armée n'était pas obligée de rembourser.

Pourquoi? Tout simplement parce que le pays est en guerre et que les dommages collatéraux font partie de la guerre.