Les ingénieurs syndiqués du gouvernement du Québec dénoncent le recours systématique aux firmes privées qui a marqué l'opération spéciale d'inspection de ponts à dalle épaisse du réseau routier provincial, au cours de laquelle le MTQ a versé près de 2,5 millions de dollars en honoraires pour une centaine de petits mandats.

Le président de l'Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec (APIGQ), Michel Gagnon, a déclaré hier à La Presse qu'avec une telle somme, le ministère aurait pu verser les salaires et avantages sociaux de 30 ingénieurs à temps plein, durant un an.

Selon lui, le recours systématique aux ingénieurs privés pour des évaluations aussi importantes que celles réalisées à la suite de la commission Johnson, était d'autant moins défendable dans ce cas-ci, que le MTQ a dû retourner plus de la moitié des rapports reçus des firmes privées parce qu'ils étaient incomplets ou erronés, selon des documents obtenu par l'APIGQ en vertu de la Loi d'accès à l'information.

De plus, ajoute-t-il, les spécialistes en structures routières du MTQ ont dû refaire, systématiquement, tous les calculs de capacité sur les ponts évalués par des ingénieurs du privé, parce que plusieurs firmes engagées avaient peu d'expérience dans ces calculs très complexes et hautement techniques qui permettent de vérifier la capacité de support d'un pont.

«À l'APIGQ, nous sommes heureux et satisfaits que Transports Québec investisse des sommes importantes pour la réfection des structures, et nous ne contestons pas ce qui est fait comme interventions sur le réseau routier québécois, a tenu à préciser M. Gagnon. Mais on ne sait pas comment cet argent est dépensé, ni si les travaux qui sont commandés sont exécutés en conformité avec les exigences du MTQ. Nous aurions aimé un meilleur contrôle des travaux par l'État. Présentement, nous n'avons pas les ressources.»

Selon le président de l'APIGQ, le nombre des chantiers routiers dépasse les 1700 cette année. Il devrait y en avoir environ 700, au cours de l'année, juste sur des ponts. Et alors que le rapport de la commission Johnson sur le viaduc de la Concorde a déjà mis en évidence les conséquences d'une surveillance de chantier déficiente sur la pérennité d'un ouvrage d'art routier, M. Gagnon estime que le MTQ n'en fait pas assez pour attirer chez lui des ingénieurs d'expérience.

À la direction des communications du MTQ, un porte-parole, Paul Jean Charest, a précisé hier que les 108 mandats (d'une valeur moyenne de 22 700$ par pont évalué) ont été distribués à une dizaine de firmes d'ingénierie privées «parce que nous étions dans un contexte de grande urgence, et que la somme de travail demandée dépassait les capacités du Ministère, à l'interne».

Selon lui, s'il est bien vrai que plus de la moitié des évaluations reçues des firmes privées ont dû être retournées à l'expéditeur, ce n'est pas nécessairement parce qu'elles ne faisaient bien le travail demandé. M. Charest a indiqué qu'après le rapport Johnson, qui a partiellement blâmé le MTQ à la suite de la tragédie du viaduc de la Concorde, où cinq personnes ont perdu la vie en septembre 2006, le MTQ avait revu plusieurs procédures et modifié ces formulaires d'inspection. Si bien que les firmes privées ont appris à se servir de ces instruments en même temps que les spécialistes de la Direction des structures.

Le ministère des Transports tente depuis plusieurs mois d'embaucher de nouveaux ingénieurs, notamment en vue de la création d'une éventuelle Agence nationale des ponts, préconisée par la commission Johnson. Lors d'une commission parlementaire, en avril dernier, la ministre des Transports du Québec, Julie Boulet, avait déclaré «qu'on pourrait avoir besoin de 150 à 200 ingénieurs de plus», advenant que cette Agence soit créée.

Le recrutement de ces ingénieurs s'est toutefois avéré très difficile, au cours des derniers mois, en raison de la concurrence des firmes privées, qui recherchent aussi des forces fraîches et qui, règle générale, paient mieux que le secteur public.