Après la couleur de la margarine, est-ce qu'on s'attaquera au lait dans le yogourt ou à l'étiquetage des produits biologiques? Une rencontre entre les ministres de l'Agriculture provinciaux et territoriaux débute aujourd'hui à Québec. Les producteurs agricoles sont inquiets. Très inquiets.

«Notre crainte est que l'on perde nos spécificités, expliquait hier soir le président de l'Union des producteurs agricoles du Québec (UPA), Christian Lacasse, à la sortie du cocktail d'ouverture de la rencontre. Actuellement, on parle d'un assouplissement, mais c'est plutôt d'un aplanissement qu'il s'agit.»

L'accord sur le commerce intérieur est sur la table. Et le chapitre 9 est consacré à l'agriculture. Les producteurs québécois craignent qu'on élargisse trop ses dispositions pour favoriser le commerce entre les provinces.

«Une telle éventualité est d'autant plus intolérable qu'elle va totalement à l'encontre de tous les efforts que nous faisons collectivement pour procurer un caractère distinctif à notre agriculture et nos produits», écrivait aussi le président de l'Union des producteurs agricoles du Québec (UPA) dans son dernier éditorial publié dans La Terre de chez nous. Christian Lacasse craint qu'en étant trop souple, on fasse entrer «le loup dans la bergerie» en permettant aux autres provinces de contester la façon de faire québécoise.

Le soya qui est servi comme substitut de fromage, par exemple. Au Québec, ces produits qui remplacent le fromage à moindres coûts doivent être définis pour ce qu'ils sont, du soya. Pour cette raison, si on achète un sandwich qui contient une tranche orange semblable à du fromage fondu et qu'il est inscrit «produit de soya» dans les ingrédients, on sait à quoi on a affaire.

«Dans d'autres provinces, il peut y avoir le mot fromage ou même cheddar dans le nom qu'on donne à ces produits de remplacement», explique Jean Vigneault, de la Fédération des producteurs de lait du Québec. Une entreprise pourrait donc plaider que cette règle d'étiquetage contraignante lui cause un préjudice commercial et porter plainte, explique-t-il.

Ce sont les producteurs laitiers qui ont sonné l'alarme en premier. Selon eux, le projet d'accord qui est sur la table et qui sera discuté à Québec jusqu'à vendredi ouvre toute grande la porte à ce genre de situation. «Les règles d'étiquetage des produits sont de compétence provinciale, explique Jean Vigneault. De même que la composition des produits.» Une entreprise qui plaide une réduction de sa marge de profits lorsqu'elle exporte dans une autre province pourrait en faire un motif de plainte, explique-t-il.

Et le Québec a des règles uniques dans le domaine agroalimentaire, notamment pour les appellations réservées ou pour la composition des produits certifiés biologiques.

Le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec travaille également à établir une définition du yogourt afin qu'il contienne obligatoirement du lait. Une précaution qui préviendrait qu'on fasse éventuellement du yogourt avec des protéines laitières, qui proviennent majoritairement de l'étranger pour l'instant. Or, si le Québec se donne une définition du yogourt, une entreprise de l'Ouest canadien aura beau jeu de la contester ensuite, toujours en invoquant des contraintes commerciales inéquitables, poursuit Jean Vigneault.

Au bureau du ministre Laurent Lessard, on rejette ces scénarios d'un revers de main. «Ce ne sont que des hypothèses», indique Frédéric Lagacé, porte-parole du MAPAQ.

«Québec est d'accord pour élargir la portée du chapitre 9, poursuit-il. Mais il y a deux impératifs : nous allons défendre la gestion de l'offre et nous allons défendre la mise en marché collective.»

Cette précaution ne rassure pas les représentants de l'UPA. Aux bureaux du syndicat hier, on comparait le texte proposé «à une roulette russe des lois et règlements agroalimentaires».

Et les consommateurs?

À l'Union des consommateurs, on plaide aussi pour le respect des normes québécoises, si uniques et contraignantes soient-elles pour les industriels d'ailleurs.

«Beaucoup de voix s'élèvent présentement au niveau mondial afin que l'agriculture et l'alimentation soient traitées dans une classe à part de commerce», indique Charles Tanguay, de l'Union des consommateurs.

«Et on voudrait bien que le Québec soit un cas à part dans ce domaine-là, dit-il. Dès lors que l'on veut faire prévaloir les règles du commerce, on risque de perdre cette spécificité de chaque province. Et nous revendiquons le droit à cette différence-là plutôt qu'une harmonisation des règles entre les provinces qui risque de niveler vers le bas. De niveler vers l'agribusiness.»