Le Service de police de la Communauté urbaine de Montréal n'avait pas le droit d'écarter, comme il l'a fait en 1995, la candidature d'une policière qui avait reconnu sa culpabilité à une accusation de vol à l'étalage et qui avait obtenu un pardon.

Dans un jugement partagé rendu vendredi, la Cour suprême a ainsi confirmé que le refus d'embaucher cette policière constituait une violation de la Charte canadienne des droits et libertés.

L'article 18.2 de la Charte prévoit en effet qu'on ne peut refuser d'embaucher une personne du seul fait qu'elle a été déclarée coupable d'une infraction pénale ou criminelle si cette personne en a obtenu le pardon.

Cette décision confirme celle rendue en 2002 par le Tribunal des droits de la personne et que la Cour d'appel a entérinée en 2006.

La candidate avait renoncé à devenir policière mais le Tribunal des droits de la personne avait estimé qu'elle avait tout de même subi une atteinte à sa dignité et avait ordonné au Service de police de lui verser 5000 $ à titre de dommages moraux, une obligation qui est maintenue par le plus haut tribunal.

Le SPCUM, qui est entre-temps devenu le Service de police de la ville de Montréal (SPVM), alléguait que l'article 20 de la Charte ainsi que la Loi sur la police et le Règlement sur les normes d'embauche lui donnaient le droit d'agir de la sorte.

La Loi sur la police indique que, pour devenir membre d'un corps policier, le candidat doit être de bonnes moeurs et ne pas avoir été déclaré coupable d'une infraction criminelle alors que le Règlement sur les normes d'embauche réitère ces critères en précisant que les bonnes moeurs du candidat doivent s'appuyer sur les conclusions d'une enquête.

La Cour suprême note toutefois que la réhabilitation vise à combattre les stigmates associés à une déclaration de culpabilité et qu'une personne qui obtient une réhabilitation a droit à tous les bénéfices qui en découlent, comme l'écrit la juge Marie Deschamps, qui a signé le jugement: «Il fait présumer que cette personne a recouvré complètement son intégrité morale»

La Commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec, qui avait piloté le dossier, se réjouit de cette décision, comme l'indique son vice-président, Me Marc-André Dowd: «La ligne de force de ce jugement est de renforcer la valeur du pardon, en disant qu'un pardon, il faut que cela veuille dire quelque chose. Cela instaure une présomption que la réhabilitation d'une personne a restauré son intégrité morale.»

En contrepartie, le tribunal accepte l'argument de l'employeur selon lequel le critère des bonnes moeurs constitue une qualité requise pour devenir ou demeurer policier, notamment en regard de la grande confiance que ceux-ci doivent inspirer.

La Cour reconnaît de plus que l'article 20 de la Charte permet à un employeur d'exclure un candidat en se fondant sur les aptitudes et les qualités requises par un emploi et qu'en l'occurrence, le Service de police était en droit de prendre en considération les faits qui ont mené à la déclaration de culpabilité de la jeune femme.

Cependant, puisque l'employeur devait aussi tenir compte de la réhabilitation de la candidate, il devait également, pour soutenir un refus basé sur les bonnes moeurs, faire enquête pour démontrer qu'elle était inapte à occuper l'emploi.

En d'autres termes, le Service de police devait démontrer que sa décision n'était pas fondée uniquement sur la déclaration de culpabilité puisque la candidate avait été réhabilitée, explique Me Dowd.

«La Cour suprême dit que c'est le fardeau de l'employeur, donc de la police, de mener une enquête suffisamment rigoureuse, de se constuituer un dossier et de faire une analyse personnalisée de la situation, pour décider si cette personne n'est pas de bonnes moeurs. La Cour reconnaît que le pardon n'efface pas le passé et que l'employeur peut quand même regarder les circonstances de l'infraction, mais qu'il ne peut pas arrêter son analyse en disant qu'il n'embauche pas une personne parce qu'elle a été déclarée coupable d'une infraction.»

Or, il avait été démontré qu'à l'époque, le SPCUM n'avait mené aucune enquête additionnelle ou entrevue qui lui aurait permis de démontrer que l'intégrité morale de la candidate pouvait être mise en doute malgré sa réhabilitation.