Deux jeunes enfants sont morts sous les balles de soldats canadiens, dimanche en Afghanistan. Ils étaient à bord d'une voiture conduite par leur père, qui aurait ignoré les avertissements des militaires en roulant à vive allure en direction de leur convoi. Une enquête sur cette nouvelle bavure a été lancée hier par la police afghane et les forces de la coalition. Une bavure inévitable, selon notre journaliste Hugo Meunier, qui a côtoyé pendant six semaines à Kandahar des soldats sur le qui-vive, le doigt sur la gâchette.

Ruzi Mohammad avait loué une voiture. À bord s'y trouvaient ses deux enfants, son épouse et un autre passager. Au volant, le père de famille se serait dangereusement approché d'un convoi militaire canadien, malgré les avertissements répétés des soldats.

La voiture se trouvait à moins de 10 mètres du convoi canadien et roulait vite. Les militaires craignaient qu'il ne s'agisse d'une auto piégée.

«Le soldat a dû prendre une décision en l'espace d'une fraction de seconde», a dit le ministre de la Défense Peter MacKay, hier à Ottawa.

Et le soldat a tiré.

Le projectile d'une quinzaine de centimètres a traversé le crâne de la fillette de 4 ans, avant d'atteindre à la poitrine le garçon de 2 ans. Ruzi Mohammad a aussi été blessé par des tirs, a indiqué hier la Force internationale d'assistance à la sécurité (ISAF) de l'OTAN. La mère et l'autre passager s'en sont sortis indemnes.

Avant de faire feu, les Canadiens avaient, à de multiples reprises, indiqué au véhicule de s'éloigner, tant verbalement que par des gestes. Des coups de feu avaient été tirés en l'air pour les prévenir. Et de grands panneaux rouges sur les camions indiquaient aux automobilistes de se tenir loin des véhicules de l'armée.

À l'hôpital local, la mère des enfants, bouleversée, faisait les cent pas en pleurant, hurlant et abominant les soldats. «Mes enfants ont été tués sans aucune raison par des étrangers!» s'est-elle écriée, selon un policier afghan. Le père a quitté l'hôpital où il était traité sans attendre son congé, afin d'assister aux obsèques de ses enfants.

Une enquête sur cette nouvelle bavure canadienne a été ouverte par la police afghane et les forces de la coalition.

«Je ne veux pas parler des circonstances tant que nous n'aurons pas mené une enquête et examiné tous les faits Mais sachez que les soldats font tout ce qu'ils peuvent pour prendre les bonnes décisions. Ils sont professionnels, mais ce sont des humains», a déclaré le ministre de la Défense.

M. MacKay a indiqué que des enquêtes semblables avaient toujours conclu au respect des règles d'engagement par les soldats canadiens dans le passé.

«Les soldats vivent dans un environnement très tendu avec les attentats suicide survenus dans le passé», a-t-il dit.

L'incident fait suite à un événement semblable survenu la veille, au cours duquel des soldats britanniques ont tué quatre civils qui avaient refusé de stopper leur véhicule à un poste de contrôle routier.

Trois autres civils ont été blessés samedi par les tirs qui se sont produits dans le district de Sangin, dans la province voisine de Helmand.

Une tragédie «inévitable»

Selon le ministre MacKay, toutes les règles d'engagement auraient été respectées par les soldats canadiens. En jargon militaire, ces règles déterminent quand, où et de quelle façon la force peut être employée. Ainsi, les soldats canadiens n'auraient pu ouvrir le feu sur une menace ennemie sans d'abord l'en avertir.

Selon le major-général à la retraite Terry Liston, les Afghans savent généralement qu'il faut éviter de s'approcher des convois militaires. «Il y a des pancartes et des avis répétés quotidiennement à la radio qui rappellent aux gens qu'ils ne doivent pas s'approcher des convois», explique l'ancien militaire, qui a effectué un séjour de quelques semaines en Afghanistan en 2004.

«Le soldat chargé de surveiller les environs du véhicule a une immense responsabilité. S'il évalue mal la situation, s'il se dit que ce n'est pas une voiture piégée mais que finalement c'en est une, il devient responsable de la mort de la dizaine de personnes qui se trouvent à bord de son véhicule - incluant la sienne.»

La nature du présent conflit et la façon d'agir des talibans rendent ces drames très probables, ajoute le titulaire de la chaire de recherche du Canada en sécurité internationale et en conflit ethnique, Stephen Saideman. «Il est difficile de s'attendre à ce que les forces canadiennes agissent autrement lorsqu'une voiture se dirige ainsi vers eux», croit l'expert.

«Les ennemis de l'ISAF utilisent fréquemment des civils comme boucliers et agissent de façon à ce que la coalition tue des civils. Les kamikazes sont un danger réel, quotidien, ayant emporté la vie de plusieurs Canadiens et Afghans.»

Selon l'organisation Human Rights Watch, au moins 300 civils afghans ont perdu la vie l'an dernier aux mains des forces de la coalition. Des milliers d'entre eux seraient morts accidentellement depuis le début de la guerre en 2001.

Mais l'ONG précise que les insurgés ont tué encore plus de civils que l'ISAF. Au moins 374 personnes sont mortes à cause des talibans dans la dernière année.

L'AFGHANISTAN EN CHIFFRES

53 000 soldats en provenance de 43 pays composent la Force internationale d'assistance à la sécurité (ISAF).

2500 soldats canadiens sont déployés en terre afghane, surtout dans la région de Kandahar.

300 civils sont morts l'an dernier, victimes des bavures des forces de la coalition.

374 civils sont morts l'an dernier aux mains des insurgés afghans.

88 Canadiens sont morts en Afghanistan depuis le début de la mission en 2002.