Assis au square Viger, un groupe de punks partagent un joint et une bouteille de jus d'ananas alcoolisé. Ils sont ici chez eux. «Le parc, c'est mon salon. Quand je m'assois sur Sainte-Catherine, c'est comme ma télévision», dit un jeune avec une coupe mohawk.

Pendant tout l'été, plusieurs dizaines de sans-abri font du camping urbain: ils dorment à la belle étoile dans le parc de béton et de rares zones gazonnées. Une communauté qui a ses principes et ses règles. «C'est une grande famille et il n'y a pas de chicane, affirme Diane Crevier, sans-abri de 45 ans. S'il y a quelqu'un qui a trop bu, on le sort du parc. C'est notre maison.»

Toutefois, le square Viger n'est pas une résidence accessible à toute heure. Les itinérants doivent quitter le parc avant minuit. Mme Crevier trimballe ses sacs aux quatre coins de la ville. «Ce n'est pas évident de bouger tout le temps.»

Du square Viger au canal de Lachine

Le problème des sans-abri n'est plus uniquement celui du centre-ville. Depuis l'été 2007, le Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) a remarqué que bon nombre de marginaux du secteur Ville-Marie s'étaient déplacés vers les quartiers Centre-Sud et Petite-Bourgogne.

«Ce sont les deux seuls endroits où les policiers ont reçu plus de plaintes de la part de citoyens et où ils ont émis plus de constats d'infractions depuis un an, affirme l'inspecteur responsable du dossier de l'itinérance au SPVM, Pierre Cadieux. Au poste 21, qui couvre le territoire du centre-ville, c'est plus tranquille cet été.»

Selon lui, les sans-abri sont plus rares au parc Émilie-Gamelin et au square Viger, mais plus nombreux au bord du canal de Lachine, au parc Chabot et dans la portion ouest de la rue Notre-Dame.

Bernard St-Jacques, du Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal, a également constaté le phénomène. «Depuis quelques années, le SPVM a augmenté sa présence au centre-ville lors des festivals, explique-t-il. Même si les policiers ne multiplient pas leurs interventions, leur présence est à ce point importante qu'il y a un éclatement à l'ouest du centre-ville.»

À son avis, les jeunes de la rue ont également déserté le square Viger et le parc Émilie-Gamelin en raison d'une réglementation de l'arrondissement de Ville-Marie qui les empêche d'y amener leurs chiens depuis 2007.

L'été dernier, le SPVM a délivré 2072 constats d'infraction et procédé à 164 arrestations de sans-abri. Pierre Cadieux affirme que les interventions du corps policier visent avant tout la coexistence. «On intervient seulement lorsqu'il y a des comportements dérangeants, dit-il. On vise avant tout une cohabitation pacifique parce qu'on ne peut quand même pas tous les jeter dans le fleuve!»

Ce n'est pas un trip

Au square Viger, une jeune de 20 ans dit ne pas pouvoir envisager une autre vie que celle de la rue. Elle n'est pas capable de vivre entre quatre murs, même l'hiver. «Ce n'est pas un trip, c'est mon mode de vie, dit-elle. Je suis dans la rue depuis que j'ai 14 ans. Tous mes amis sont ici. Je vis sans téléphone. Lorsque j'ai envie de passer du temps avec quelqu'un, je viens au square.»

La jeune femme aux cheveux rouges, tatouée de la tête aux pieds, gagne sa vie dans les rues du centre-ville de Montréal. Une entreprise lucrative, mais dont les profits s'envolent rapidement en fumée. «En une journée de squeegee, je peux me faire 150$. Quand tu consommes, c'est de l'argent vite fait qui est déjà hypothéqué par les restaurants, la drogue et la bière. Ça coûte cher vivre dans la rue!»

La vie au square Viger est souvent dangereuse. «Dans un parc, tu peux te faire violer ou voler tes affaires, affirme Diane Crevier. Quand tu as pris un coup et que tu es arrogant, tu manges rapidement une volée.»

Malgré tout, les squatteurs du square Viger considèrent que le parc leur appartient. Même s'ils ne le trouvent pas particulièrement charmant, ils s'y sentent comme à la maison. Ils empêchent les gens de jeter leurs ordures ou d'uriner dans le square.

«On a du respect et des principes, même si on est dans la rue», affirme un jeune, «Fuck the system» tatoué sur le torse. «On vit ici, on dort ici. Est-ce que t'accepterais que quelqu'un fasse pipi à côté de ton lit?»

Constats d'infractions remis à des sans-abri du 1er mai au 30 septembre 2007

>Gisant ivre ou flânant sans raison dans un parc: 663

> Consommation d'alcool sur la place publique: 370

> Uriner et/ou crier sur la place publique: 294

> Sollicitation sur la place publique: 272

> Présence dans un parc après minuit et/ou installation d'un abri de fortune: 83