Les Canadiens pourront pour une rare fois observer le travail des agents de leur service de renseignement grâce au dévoilement, mardi matin, des DVD de l'interrogatoire du citoyen canadien Omar Khadr à Guantanamo.

Sur quatre DVD, jusqu'ici classés secrets, on peut voir un agent du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) interroger Omar Khadr à la prison militaire américaine de Cuba, où il a passé les six dernières années.

Le quotidien The Globe and Mail écrivait aujourd'hui que l'enregistrement montre un agent interrogeant avec insistance Omar Khadr pendant sept heures sur une période de trois jours en février 2003.

Le visage de l'agent serait brouillé pour préserver son anonymat. Il interrogerait Khadr sur des terroristes du réseau al-Qaïda qu'il aurait supposément rencontrés durant son adolescence passée sous la coupe de parents fondamentalistes en Afghanistan, avant d'être capturé en tant qu'«ennemi combattant» présumé à l'âge de 15 ans. L'agent du SCRS interrogerait également l'adolescent sur son attachement à l'islam.

Plus d'une fois, Omar Khadr perdrait ses moyens, pleurerait, répétant qu'il ne savait rien sur le réseau al-Qaïda.

Le dévoilement des DVD, ordonné par le juge de la Cour fédérale Richard Mosley, se fait malgré les objections du SCRS et des agences de renseignement américaines.

Omar Khadr est accusé par les autorités américaines d'avoir tué un soldat américain en Afghanistan, à la suite d'un échange de coups de feu.

L'avocat canadien d'Omar Khadr a dit espérer que la diffusion des DVD allait

accroître l'indignation des Canadiens face à l'inaction du gouvernement conservateur dans ce dossier.

Dennis Edney a soutenu que les documents explosifs rendus publics la semaine dernière par le ministère des Affaires étrangères, également grâce à une ordonnance de la cour, avaient déjà suscité beaucoup de colère au sein de la population. Ces documents ont notamment révélé que les autorités canadiennes savaient qu'en 2004, l'armée américaine privait Omar Khadr de sommeil pendant des semaines pour le rendre plus vulnérable en interrogatoire.

L'avocat a dit avoir reçu plusieurs courriels d'appui à la cause de son client.

La mère d'Omar Khadr a confié lundi à La Presse Canadienne ne pas être certaine de pouvoir supporter le visionnement de l'interrogatoire de sept heures, vraisemblablement éprouvant pour son fils.

«J'ai peur, a lancé Maha Elsamnah. J'espère pouvoir rassembler mes forces. Ce n'est pas quelque chose d'agréable à voir pour une mère.»

Un résumé de l'interrogatoire révèle qu'à un certain moment, Omar Khadr enlève son chandail pour laisser voir certaines blessures par balles, l'une d'entre elles dégageant encore du sang.

«J'ai perdu la vue», aurait aussi déclaré Omar Khadr à l'agent du SCRS.

Ces nouvelles révélations viennent contredire les prétentions du gouvernement selon lesquelles le citoyen canadien a été bien traité par les autorités américaines.

Les partisans d'Omar Khadr soutiennent depuis des années que le jeune homme a été torturé à Guantanamo.

Le premier ministre Stephen Harper a affirmé, après les révélations de la semaine dernière que le gouvernement conservateur n'avait d'autre choix que de laisser les Américains interroger et juger le jeune Canadien.

Les Khadr ont été dans le passé des amis du terroriste Oussama ben Laden, une relation nouée par le père d'Omar. Dans une entrevue à la télévision il y a plusieurs années, Maha Elsamnah avait suscité l'ire des Canadiens en exprimant de la sympathie pour al-Qaïda. Lundi, elle a soutenu que cela ne devait pas jeter de l'ombre sur les souffrances de son fils.

«Quoi que j'ai pu faire ou que le père d'Omar ait pu faire, ce n'est pas sa faute. Il vit un cauchemar depuis six ans, a-t-elle déclaré. Toute ma famille vit un cauchemar.

Pour une prise de position, nous méritons tout ça? Si la justice est telle au Canada, que Dieu nous garde tous.»

Maha Elsamnah a exprimé l'espoir que les nouvelles révélations sur le traitement réservé à son fils et le dévoilement des DVD de l'interrogatoire allaient amplifier la pression populaire et forcer Stephen Harper à réclamer le rapatriement au Canada d'Omar Khadr.