Lorsqu'il a examiné le cadavre du petit Jonathan, le Dr Jean Labbé a eu un doute. Il a vu des ecchymoses et des fractures sur le corps du bébé âgé de 19 jours. Meurtre? La police avait fermé le dossier et cru à la thèse de la mère, qui jurait qu'elle avait échappé Jonathan.

Le Dr Labbé a appelé le coroner. «Je ne croyais pas à la thèse de l'accident», raconte-t-il, 15 ans plus tard. Le coroner a demandé un complément d'enquête. La mère a finalement craqué et avoué qu'elle avait projeté son bébé au sol.

Il y a peut-être d'autres petits Jonathan, s'est dit le Dr Labbé. Il a analysé les dossiers de 29 enfants morts entre 1985 et 1994. Conclusion: il y a deux fois plus d'infanticides qu'on ne le croit.

Dans la foulée de cette découverte, le Dr Labbé a créé, en 1997, un comité d'examen chargé de passer au crible les morts suspectes d'enfants de moins de 6 ans. Le comité, qui couvre la grande région de Québec, a décelé trois meurtres qui avaient été classés comme des morts naturelles.

Mais les meurtres d'enfants ne sont pas fréquents. Selon le Bureau du coroner, 38 bambins de moins de 6 ans ont été assassinés entre 2000 et 2006 au Québec. Seize avaient moins de 12 mois; 22 avaient entre 1 et 5 ans.

Il n'y a pas de portrait type du meurtrier. Les femmes s'attaquent aux très jeunes enfants, note le chef de service de psychologie de l'Institut Philippe-Pinel, Bernard Poulin.

«Certaines femmes nient leur grossesse jusqu'à l'accouchement, dit-il. Elles vivent dans un déni extrême. Quand elles ne peuvent plus nier la réalité, c'est la crise. Une crise qui peut parfois mener au meurtre.»

Le post-partum peut transformer une mère en assassin, croit la criminologue Dianne Casoni. «Certaines femmes souffrent tellement qu'elles sentent des pulsions meurtrières, dit-elle. Elles souffrent souvent de maladie mentale.»

Les femmes tuent aussi par «altruisme». Elles veulent se suicider, mais elles refusent d'abandonner leur enfant. Les hommes agissent plutôt par vengeance à la suite d'une rupture difficile.

Le Code criminel canadien définit l'infanticide - le meurtre d'un bébé de moins de 12 mois - comme un crime féminin punissable d'une peine maximale de cinq ans de prison.

«L'infanticide est beaucoup moins grave que l'homicide involontaire, précise le criminaliste Jean-Claude Hébert. Les législateurs ont voulu tenir compte du contexte particulier de la naissance, qui est souvent difficile.»

Les définitions

Néonaticide: meurtre d'un bébé de moins de 24 heures.

Infanticide: meurtre d'un bébé de moins de 12 mois. Seule une femme peut être accusée d'infanticide.

Filicide: meurtre d'un enfant par un parent, peu importe l'âge de l'enfant.

Homicide: meurtre

Quelques cas

Henry Taylor

Mort en 1868 à l'âge de 8 ans. «L'histoire de cet enfant martyr avait fait beaucoup de bruit à l'époque, raconte le Dr Jean Labbé, pédiatre spécialiste de la maltraitance. C'était aussi grave qu'Aurore. Henry était battu, mal nourri, exploité.»

Aurore Gagnon

Morte en 1920 à l'âge de 10 ans. Martyrisée par sa belle-mère, elle a succombé à l'épuisement, affaiblie par ses nombreuses blessures. La belle-mère, Marie-Anne Houle, a été condamnée à mort. Sa peine a été commuée en prison à vie. Le père, Télesphore Gagnon, a aussi été condamné à la prison à vie.

Ariane Fortier

Morte en 2000 à l'âge de 4 ans. Sa mère, Louise Bégin, l'a empoisonnée, puis elle a tenté de se suicider. C'est le père qui a découvert le corps de sa fille. Elle gisait, inerte, dans son lit. Sa femme se trouvait dans la baignoire dans un état comateux.

Matisse Alix-Leblanc

Mort en 2003 à l'âge de 1 an. Sa mère, Mélanie Alix, a mis le feu à la maison. «L'enfant était vivant au début de l'incendie, note le rapport du coroner. Il a respiré de la fumée et des gaz toxiques.» La mère a été condamnée à perpétuité. Elle a aussi été accusée du meurtre de sa mère. En rendant sa sentence, la juge a souligné la méchanceté de l'accusée et le fait qu'elle n'avait pas de remords.