Six heures du matin. La ville dort encore. Mais quelque part dans le secteur industriel de Montréal-Nord, une quarantaine d'hommes enchaînent cigarettes et café devant le local d'Alain Tremblay Déménagement.

Dans le quartier général de l'entreprise familiale, le gérant Éric Lavoie-Tremblay s'affaire à répartir ses effectifs sur les 175 déménagements au menu du jour.

Pour en venir à bout, des équipes de trois déménageurs grimperont à bord des 42 camions disponibles.

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Résultat : les gars devront se taper au moins quatre déménagements dans la

même journée.

Mais personne ne ronchonne. Au contraire. La journée s'annonce payante pour les employés et cette horde de nouveaux venus, enrôlés pour l'occasion. Ils empochent environ 18 $ l'heure.

Les clients doivent quant à eux payer le gros prix pour déménager le 1er juillet, soit environ 175 $ l'heure. En dehors de la période de pointe, qui s'échelonne de juin à la mi-juillet, c'est 55 $ l'heure pour un camion et deux hommes.

Pour amorcer notre premier quart de travail, le répartiteur nous jumelle à «deux déménageurs d'expérience».

D'abord Patrice Tessier, 43 ans, un vieux routier originaire de la Mauricie qui a 15 ans de livraison de meubles et de déménagement dans les bras. «Un cowboy de Saint-Tite», comme se décrit lui-même ce solide gaillard au crâne rasé.

Son confrère, André Junior Trudel, est tout aussi cowboy. Le jeune homme de 25 ans a longtemps travaillé sur un ranch et possède deux poulains. Il est déménageur depuis quelques mois. «Le 1er juillet, c'est une job d'homme!» lance Junior, avant de sauter dans son camion.

Le temps s'annonce beau. Il fera beau et chaud. Très chaud.

En route vers notre première destination, Patrice et Junior vont faire le plein de bouteilles d'eau au dépanneur.

Le «jackpot»

Le camion-cube s'immobilise devant un vieux bâtiment un peu défraîchi avenue de La Salle, dans Hochelaga-Maisonneuve. «Vous avez pogné le jackpot ce matin!» s'exclame Patrice. Des montagnes de boîtes sont éparpillées dans toutes les pièces du cinq et demi saturé, niché au deuxième étage.

Josianne Bédard, son conjoint Philippe Baron et leurs deux enfants Michel et William commençaient à y être à l'étroit. Ils ont décidé d'emménager dans un grand six et demi à proximité, avenue Bourbonnière. Un rez-de-chaussée, notent, soulagés, nos collègues d'un jour.

Comme plusieurs clients, la petite famille n'avait pas le choix de déménager un 1er juillet, même si les prix sont gonflés aux stéroïdes. «Notre nouveau logement n'était pas libre avant», explique Mme Bédard.

Vers 9 h 15, le camion déborde, prêt pour un premier voyage. Sur l'avenue de La Salle, deux autres véhicules de déménagement sont garés côte à côte devant des immeubles voisins.

Un peu plus tard, la fatigue commence à se faire sentir. Les jambes deviennent plus lourdes au milieu des escaliers. La sueur perle sur la tête et le visage des déménageurs. L'appartement à l'étage prend des allures de four. Les courroies utilisées pour transporter les électroménagers égratignent les épaules et le cou. À l'arrivée du deuxième et dernier voyage à destination finale, Junior retire son chandail pour le tordre. «Je ne pars jamais sans amener mes cinq chandails», souligne-t-il.

Vers 11 h 15, le premier déménagement est terminé. «C'est plus cher, mais maudit que ça vaut la peine de ne pas le faire soi-même», raconte Josianne Bédard. Une cliente satisfaite donc, même après avoir déboursé 1041$ pour cinq heures de labeur.

Après un dîner rapide dans un casse-croûte voisin, pas le temps de souffler, les cowboys du déménagement reprennent la route, cette fois en direction de Laval, dans un immeuble de six logements de Laval-des-Rapides.

À notre arrivée, c'est le branle-bas de combat. Un camion d'une autre entreprise de déménagement est garé en face du bloc de la rue Laval. Les occupants de trois des six logements déménagent le même jour.

Propriétaire aux aguets

Nos clients, les Gauthier, sont au deuxième étage. Un couple âgé et leur fille. Ils avaient hâte de voir le camion de Patrice et Junior débarquer, puisque les nouveaux locataires de l'appartement où ils ont vécu 12 ans tapaient un peu du pied dans la cuisine.

Mais pas autant que le propriétaire des lieux. «Depuis 11 h ce matin, il vient aux 10 minutes demander si le camion s'en vient», grogne Marie-Pierre Gauthier, exaspérée.

Perchés sur leurs balcons, des voisins observent le spectacle.

Le propriétaire, aux aguets, sermonne même les déménageurs au travail. «Faites attention aux murs!» lance-t-il, condescendant. Minutieux, Patrice et Junior se font pourtant un devoir de ne pas accrocher les murs.

En une heure, le camion est plein à craquer. Un déménagement facile, puisque les Gauthier emménagent au bout de la même rue. À 16 h 30, le deuxième déménagement est terminé. Les Gauthier ont un nouveau quatre et demi rempli de boîtes.

Junior a de sérieux coups de soleil sur les bras.

Les deux collègues cesseront probablement de travailler vers minuit, après quatre déménagements.

Les représentants de La Presse ont quant à eux démissionné après deux, pour se replier au bureau. Les muscles endoloris. Vidés.

Chacun son métier.