Selon la Sûreté du Québec, des leaders de la secte juive Lev Tahor n'ont pas seulement maltraité des enfants, ils ont commis une forme moderne d'esclavage, la traite de personnes, en plus de forger de faux documents pour camoufler leurs gestes. Dès janvier 2013, le Canada a même reçu une demande d'entraide d'Interpol à ce sujet, celle-ci invoquant un traité international pour que le Canada réagisse.

Ces éléments et plusieurs autres étaient restés secrets jusqu'à ce que La Presse et d'autres médias obtiennent ce matin une version moins censurée des mandats légaux ayant permis à la SQ de fouiller les refuges ontariens d'une quarantaine de familles en fuite, le 29 janvier 2014.  

Deux mois plus tôt, ces familles avaient échappé à la Direction de la protection de la jeunesse québécoise en désertant leurs maisons de Sainte-Agathe-des-Monts, dans les Laurentides, pour s'installer à Chatham-Kent, en Ontario. L'histoire s'est répétée au début de l'été, lorsqu'elles ont bafoué la justice ontarienne pour s'envoler vers le Guatemala avec leur rabbin Schlomo Helbrans.

Au Canada, la traite de personnes est passible d'un emprisonnement minimal de cinq ans lorsque les victimes sont mineures. Aucune accusation n'a été déposée contre Lev Tahor. Mais selon les allégations de la SQ et de la DPJ des Laurentides, le fondateur du groupe, Schlomo Helbrans, et ses acolytes forçaient des adolescentes de 14 ans ou 15 ans à épouser des hommes deux fois plus âgés qu'elles. En plus de frapper, séquestrer, harceler ou médicamenter quiconque ne leur obéissait pas au doigt et à l'oeil.

Les autorités en ont eu vent dès 2011. Entre avril 2012 et novembre 2013, les alertes ont déboulé. Après avoir fui son père et sa secte, Nathan Helbrans, les a dénoncés en Israël. Un avocat de ce pays a contacté la SQ, suivi du rabbin de la communauté hassidim de Boisbriand, d'une bénévole du Israël Centre for Victims of Cults et d'Interpol.

En mai 2012, le rabbin de Boisbriand a même remis aux enquêteurs un disque compact contenant des documents suspects enregistrés par le fils Helbrans avant de fuir, parmi lesquels plusieurs mandats d'inaptitude et copies de passeport. En avril et juillet 2013, un autre ancien fidèle, Adam Brudzevski, a remis une clé USB à la SQ, en avouant avoir lui-même forgé des documents. Certains enregistrements permettent d'entendre les conversations en yiddish de Mayer Rosner, bras droit du leader Helbrans.

Documents falsifiés

La SQ a tout de même attendu que le groupe lui échappe, des mois plus tard, pour fouiller ses maisons de Sainte-Agathe et y effectuer des saisies, les 18 et 19 novembre 2013. Selon les mandats légaux obtenus hier, les dirigeants de Lev Tahor ont emporté dans leur fuite « la plus grande partie des documents concernant la communauté ainsi que le matériel informatique servant à produire des faux ». La SQ a tout de même trouvé pêle-mêle des contrats de mariage (dont l'un du Missouri), des certificats de naissance, des papiers d'immigration, des pots de médicaments, dont certains destinés aux bipolaires ou aux psychotiques. Elle a aussi mis la main sur des sceaux servant à authentifier des documents et sur des pièces portant de tels sceaux. En visitant une clinique et un bureau, elle a eu la confirmation que les sceaux n'avaient pas été apposés par les professionnels auxquels ils appartenaient. 

En janvier dernier, la SQ voulait faire « une fouille complète de tous les bâtiments » occupés par le groupe en Ontario quitte à « utiliser la force et les techniques nécessaires » - puisque ni la police ni les services sociaux ontariens ne savaient où trouver les documents toujours recherchés.

La SQ jugeait « impensable » d'employer un agent double ou même de surveiller le groupe « sans être détecté et risquer de faire disparaître les items recherchés ».

La SQ visait tout particulièrement Mayer Rosner, bras droit du leader, chez qui elle avait déjà retrouvé des documents personnels et des pots contenant des médicaments au nom de divers membres de la communauté. Elle pensait qu'il pouvait cacher des passeports ne lui appartenant pas dans son nouveau domicile ontarien, ainsi que des certificats de mariage, des coupons destinés à l'achat de nourriture, des prescriptions de médicaments et des documents financiers au nom d'autres personnes.

Séquestrés pour prier

D'autres détails jusqu'ici censurés ont aussi fait surface hier. Selon la DPJ, une jeune fille de 14 ans - qui avait peur de retourner dans la communauté car elle était « promise à un homme » - a été intimidée jusqu'à l'hôpital par les autres fidèles « afin qu'elle ne parle pas ».

Selon l'ancien fidèle Adam Brudzevski, « durant les prières à la synagogue de Ste-Agathe-des-Monts, les gens étaient séquestrés dans l'immeuble ». On « verrouillait les portes avec une clé afin que personne ne puisse en sortir et les moustiquaires des fenêtres avaient été vissés ». Personne ne pouvait manger avant d'avoir assisté à la prière du matin, qui durait 6 heures, et avoir ensuite médité ensuite une heure.

L'homme affirme aussi que chaque famille se voyait octroyer un montant hebdomadaire pour s'approvisionner au magasin général du groupe, puisque tout l'argent était remis aux leaders.

Autre révélation : les leaders de Lev Tahor ont versé 9640$ à la compagnie Brunet pour fuir Sainte-Agathe en pleine nuit, à bord d'un autocar de luxe et de deux autobus scolaires (suivis d'un camion de déménagement et d'une voiture). La conductrice de l'autocar a déclaré :« Les femmes et les enfants (en pleurs ) ont pris place dans le chaos. » Ses voyageurs n'ayant ni bougé, ni parlé, ni pleuré durant le voyage, elle a pensé qu'ils avaient été drogués au Gravol et a eu l'impression qu'ils étaient « en otages ».

Lorsqu'elle a souligné combien les enfants étaient tranquilles, une mère lui a répondu : « Chaque enfant a un enfant ».

Rare traite de personnes

Le directeur de la DPJ des Laurentides, Denis Baraby, n'a jamais été confronté à un cas de traite de personnes auparavant et ignore si la preuve recueillie contre Lev Tahor aurait suffi à déposer des accusations criminelle, si le groupe n'avait pas fui.

En Colombie-Britannique, Winston Blackmore, leader du groupe polygame Bountiful a failli être accusé de traite de personnes. En août, il a plutôt été accusé de polygamie et d'avoir fait passer à l'étranger une mineur e résidant habituellement au Canada en vue de l'exposer à des gestes sexuels.

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Un crime « des plus ignobles »


« La traite de personnes est un crime des plus ignobles, souvent décrite comme une forme moderne d'esclavage. Elle se caractérise par le fait de recruter, de transporter et d'abriter des personnes ou de contrôler, de diriger ou d'influencer leurs mouvements afin de les exploiter (). Les victimes, pour la plupart des femmes et des enfants, sont arrachées à leur vie normale et sont forcées à travailler ou à offrir des services sexuels par le biais de diverses pratiques coercitives, le tout au profit direct de leurs bourreaux. L'exploitation se fait souvent par l'intimidation, la force, les agressions sexuelles et les menaces à l'endroit des victimes ou de leurs familles. »

- Extrait du site web du ministère de la Sécurité publique du Canada