L'annonce est déjà qualifiée d'historique et génère un suspense médiatique savamment entretenu. La détection des ondes gravitationnelles, l'une des manifestations les plus spectaculaires de la relativité générale, pourrait être annoncée aujourd'hui, exactement 100 ans après leur prédiction par Albert Einstein. Analyse d'une (possible) découverte qui pourrait révolutionner l'astronomie.

L'annonce

« Si l'information est confirmée, c'est l'une des plus importantes découvertes scientifiques de notre temps. À mon avis, plus importante encore que celle du boson de Higgs ! » Catherine Bréchignac, secrétaire perpétuelle de l'Académie des sciences, en France, a fait ce commentaire à l'hebdomadaire Le Point. Il explique à lui seul la frénésie qui entoure une conférence de presse prévue ce matin à Washington. Cette conférence sera tenue par la National Science Foundation et les scientifiques du LIGO, un projet scientifique hors du commun dont la mission est devenue mythique : détecter des ondes gravitationnelles, un phénomène prédit par Albert Einstein il y a exactement 100 ans. Plusieurs s'attendent à ce que le groupe confirme les rumeurs et annonce avoir détecté les fameuses ondes. Le prestigieux magazine Nature est du lot et a annoncé la journée d'aujourd'hui comme un « grand jour ».

Le phénomène

Les ondes gravitationnelles sont l'une des manifestations les plus spectaculaires de la relativité générale. Cette théorie d'Albert Einstein stipule que l'espace-temps forme la matrice de l'Univers. Les objets, à cause de leur masse, déforment cet espace-temps. Or, s'ils entrent en collision ou accélèrent, des objets très massifs peuvent provoquer des vagues dans l'espace-temps, comme une pierre lancée dans un étang formé des ondes. Ces ondes gravitationnelles se propagent dans le cosmos à la vitesse de la lumière.

La machine

Einstein a toujours pensé que les ondes gravitationnelles étaient impossibles à détecter. Mais des scientifiques ont fait le pari inverse. En Louisiane, au milieu d'une forêt de pins, ils ont construit une étrange machine rappelant un immense boomerang. Le LIGO, pour Light Interferometer Gravitational-Wave Observatory, est fait de deux bras de quatre kilomètres chacun qui s'éloignent à angle droit. Dans chacun des bras, un laser circule. On peut voir l'expérience comme une course. En temps normal, les deux lasers prennent exactement le même temps pour parcourir leur bras respectif. Mais si une onde gravitationnelle venue du cosmos déforme l'espace-temps, l'un des bras se contracte ou se dilate très légèrement par rapport à l'autre, produisant un décalage dans l'arrivée des lasers. L'expérience est un défi de précision extrême : la différence de longueurs entre les deux bras qu'on espère détecter est 1 milliard de fois plus petite que la taille d'un atome.

La quête

L'expérience du LIGO a déjà couté 1 milliard de dollars US, la plus grosse somme jamais débloquée par la National Science Foundation américaine. Pour corroborer les résultats du boomerang installé en Louisiane, les scientifiques en ont construit un identique dans l'État de Washington. Pendant 10 ans, ils ont ajusté leurs machines. Puis, l'automne dernier, ils ont démarré ce qu'ils appellent le « LIGO avancé ». La Presse avait alors visité les installations, où régnait une fébrilité palpable. Les chercheurs estimaient qu'il faudrait quelques années avant de détecter une onde gravitationnelle. On dirait qu'ils ont frappé le gros lot plus vite que prévu. Sur son blogue, le physicien tchèque Luboš Motl a affirmé cette semaine que l'onde gravitationnelle qui aurait été détectée aurait été produite par la collision de deux trous noirs.

Les impacts

Yves Gingras, historien des sciences à l'UQAM, explique qu'on n'a pas besoin de détecter des ondes gravitationnelles pour savoir qu'elles existent. « Il n'y a pas un physicien qui doute de leur existence », dit-il. Pourquoi, alors, faire tout un plat de leur détection ? Parce qu'elle ouvrirait la porte à une toute nouvelle façon de sonder le cosmos. En captant les ondes gravitationnelles, les scientifiques croient en effet pouvoir apprendre des choses sur les événements qui les génèrent - dont la mère de tous les événements, le fameux Big Bang. « C'est un instrument immense. Ça nous ferait voir plus loin dans l'Univers », dit Yves Gingras.

Le phénomène médiatique

Yves Gingras, de l'UQAM, jette un regard critique sur le suspense médiatique créé par ces conférences de presse qu'on annonce à l'avance. Il redoute d'ailleurs qu'on nous fasse encore languir ce matin. « Mon hypothèse, c'est qu'on va nous dire : on a vu l'ombre de la queue de l'ours. On est pas mal sûr qu'il y a un ours, mais laissez-nous quelques mois pour confirmer tout ça. Ils vont étirer l'annonce sur plusieurs mois pour maintenir le buzz. Les scientifiques ont compris que les médias sont une façon de convaincre le Congrès de financer les projets scientifiques », dit-il, rappelant que l'annonce de la découverte du boson de Higgs s'est faite de cette façon.

Le Nobel

Tout le monde s'entend pour dire que la détection des ondes gravitationnelles mériterait un prix Nobel. Il reste à voir à qui exactement il serait remis. Le projet LIGO compte pas moins de 941 scientifiques de 88 institutions différentes. « À mon avis, ça illustre le problème avec les prix Nobel aujourd'hui, dit Yves Gingras. Ces prix ont été inventés à une époque où des gens inventaient des théories dans leur coin. Ils ne conviennent plus à la façon dont la science se fait aujourd'hui. »