Ce soir, une semaine après les caucus de l'Iowa, les électeurs du New Hampshire sont invités à choisir leur candidat préféré à l'investiture républicaine ou démocrate, lors des premières primaires de la course à la Maison-Blanche. En tête des sondages, deux hommes qui se disent farouchement opposés à l'«establishment». Ce mot, qui revient comme un leitmotiv dans la bouche de Donald Trump, le favori républicain, comme dans celle du démocrate Bernie Sanders, est aussi utilisé à toutes les sauces par leurs rivaux. Mais de quel «establishment» parle-t-on au juste?

UN MOT À LA MODE

Président de l'Observatoire sur les États-Unis de la chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM, Charles-Philippe David note que la surenchère autour du mot «establishment» revient tous les quatre ans, à la veille de l'élection présidentielle. «Il y a toujours des gens comme Ross Perot ou Pat Buchanan qui se disent anti-establishment et qui dénoncent l'emprise du gouvernement sur la population», dit le politologue. Cependant, renchérit Élisabeth Vallet, aussi de l'Observatoire sur les États-Unis, l'attrait pour ce discours qui dénonce le pouvoir établi et les élites a rarement été aussi fort qu'en ce début de course à la présidence. «C'est la première fois depuis 1968. Ça correspond à une période analogue, où l'on voit une fracture dans la société», dit l'experte de la politique américaine. Si, en 1968, le mouvement des droits civils et la guerre au Viêtnam divisaient les Américains, cette fois, ce sont les inégalités sociales qui sont à l'origine du schisme au sein des deux grands partis, ajoute Mme Vallet. Une partie de la classe moyenne, qui a l'impression d'avoir manqué le bateau de la reprise économique, est séduite par les discours de ceux qui promettent de tenir tête aux castes dirigeantes.

L'ÉLITE RÉPUBLICAINE

Chez les républicains, l'establishment est formé de plusieurs acteurs au sein de la direction du parti. Reince Priebus préside le Republican National Committee, qui établit les règles de l'investiture des candidats. Au sein des cercles de pouvoir du parti, on retrouve aussi Paul Ryan, le leader républicain à la Chambre des représentants, ainsi que Mitch McConnell, qui mène la majorité républicaine au Sénat. Pour démontrer son statut anti-establishment, le sénateur texan Ted Cruz, grand vainqueur des caucus de l'Iowa pour le Great Old Party, n'a pas hésité à traiter Mitch McConnell de «menteur» sur le plancher du Sénat, un «tir ami» qui lui a valu des ennemis à Washington, mais des appuis parmi ses supporters de la droite dure.

Consciente du schisme grandissant dans ses rangs et pour «éviter les candidats populistes», l'élite républicaine a récemment modifié les règles de l'investiture du parti, note Élisabeth Vallet. Le calendrier des primaires a été resserré, le nombre de débats a été réduit et le scrutin proportionnel prévaut depuis. «La direction du parti voulait que la course soit moins longue, qu'un candidat qui a de l'allure soit choisi rapidement afin de concentrer les ressources pour combattre le candidat démocrate» plutôt que pour mener une bagarre fratricide, note Mme Vallet. Les réformes semblent avoir eu l'effet d'un boomerang et ont plutôt aidé à attirer l'attention sur les candidatures rebelles, comme celle du multimilliardaire Donald Trump. «Le parti a ignoré la droite extrême qui a décidé de se faire entendre», dit Mme Vallet.

LA «DYNASTIE» DÉMOCRATE

L'ascension rapide de Bernie Sanders, qui promet de combattre «l'establishment» politique et économique, relève aussi du même phénomène, ajoute Élisabeth Vallet. «Il y a toute une frange qui ne se reconnaît pas dans les partis dynastiques», dit-elle. Femme d'un ancien président, Hillary Clinton est aux yeux de bon nombre de jeunes l'incarnation même d'une élite politique déconnectée des réalités d'une génération qui est arrivée sur le marché du travail en même temps que la débâcle économique. Mme Vallet note qu'il est cependant ironique que le politicien qui mène cette bataille «anti-establishment» soit au pouvoir depuis 26 ans.

LES AUTRES «POUVOIRS ÉTABLIS»

Charles-Philippe David remarque que le «pouvoir établi» compte aussi dans ses rangs une élite économique, critiquée par les candidats rebelles au sein des deux partis. Dans sa campagne, Bernie Sanders tire davantage à boulets rouges sur Wall Street et les grandes entreprises, qui ont le loisir de financer les candidats de leur choix par l'entremise de Super-Pac, que sur son propre parti. Les richissimes frères Koch - réputés ultraconservateurs - sont l'emblème de cette élite économique prête à tout pour imposer sa vision du monde. «Aussi, les bailouts [plans de sauvetage] accordés aux banques pendant la crise économique ont choqué beaucoup de gens. Les gens voyaient qu'ils perdaient leurs maisons alors que les élites ne perdaient rien», remarque Élisabeth Vallet. Pour certains, ces mesures qui ont favorisé les nantis ont été la goutte qui a fait déborder le vase de la colère à l'égard des politiciens et des grandes entreprises. Les experts attendent de voir maintenant comment ce ras-le-bol généralisé se traduira en votes lors des primaires de ce soir au New Hampshire, et au-delà.

PHOTO JAE C. HONG, ARCHIVES AP

Selon des experts, les réformes au sein du Parti républicain semblent avoir eu l'effet d'un boomerang et ont aidé à attirer l'attention sur les candidatures rebelles, comme celle du multimilliardaire Donald Trump.

Le New Hampshire en chiffres

Population : 1,3 million

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Nombre d'électeurs inscrits

882 959

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Démocrates : 231 376

Républicains : 262 111

Indépendants : 389 472

Intentions de vote

New Hampshire

PARTI RÉPUBLICAIN

Donald Trump : 31,6 %

Marco Rubio : 14,6 %

Ted Cruz : 13 %

PARTI DÉMOVRATE

Hillary Clinton : 40,5 %

Bernie Sanders : 53,3 %

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National  

PARTI RÉPUBLICAIN

Donald Trump : 29,5 %

Marco Rubio : 17,8 %

Ted Cruz : 21 %

PARTI DÉMOCRATE

Hillary Clinton : 49,3 %

Bernie Sanders : 36 %

Source : moyenne des sondages compilés par Real Clear Politics (8 février)