Deux espèces en péril se heurtent à de puissants intérêts économiques en Montérégie, alors que des avis de scientifiques sont ignorés.

À La Prairie, malgré les avertissements des experts, des étangs artificiels créés pour protéger la rainette faux-grillon favorisent plutôt des prédateurs de cette espèce.

À une vingtaine de kilomètres de là, à Saint-Bruno, une plante rare, le ginseng à cinq folioles, est menacée par un projet immobilier. Un projet de transplantation est proposé, ce qui suscite les critiques des biologistes.

Des prédateurs pour la rainette

La Prairie a prévu un parc de conservation de 87 hectares et y a aménagé deux étangs. Le parc a été créé pour fournir un refuge aux rainettes et permettre le projet Symbiocité et ses 1400 habitations.

La Ville a obtenu toutes les autorisations du ministère de l'Environnement pour ce projet de 300 millions qui a fait disparaître un des derniers habitats de la rainette en Montérégie.

Isabelle Picard, biologiste et spécialiste des amphibiens, a inspecté la zone ce printemps. Elle estime que les étangs attirent plutôt les grenouilles vertes, les ouaouarons et les grenouilles léopards, trois prédateurs de la rainette faux-grillon, ce qui nuira à la conservation de l'espèce.

« J'ai vu des têtards de grenouilles vertes et même ces têtards seraient assez gros pour manger la rainette », dit-elle.

Le directeur général de La Prairie, Jean Bergeron, dit ne pas être informé de la situation, mais que des correctifs pourraient être apportés selon les analyses qui seront présentées au ministère de l'Environnement.

Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Québec, est du même avis que Mme Picard : « A priori, ces étangs semblent être des pièges écologiques pour la rainette. »

Rien de surprenant : dès 2002, l'ancienne Société de la faune et des parcs, un service du ministère des Ressources naturelles, concluait que « l'aménagement d'étangs ne constituait pas une alternative valable » pour protéger la rainette faux-grillon, dont 90 % des habitats ont disparu en Montérégie.

En effet, l'espèce se reproduit dans de petits plans d'eau qui se forment au printemps et qui s'assèchent par la suite.

L'autre problème, selon Isabelle Picard, c'est la méthode dite de « phasage » prônée par le ministère de l'Environnement, qui consiste à permettre le « déplacement annuel et naturel » de la rainette vers le parc de conservation pendant les travaux menés par le promoteur.

Or, cette minuscule grenouille se déplace sur quelques dizaines de mètres seulement au cours de sa vie.

Les scientifiques d'Environnement Canada et ceux de l'équipe de rétablissement de l'espèce ont mis en doute l'efficacité de ces mesures dans plusieurs documents officiels.

De son côté, le ministère de l'Environnement du Québec n'est pas en mesure de prouver l'efficacité de cette technique.

« Je l'ai dit et je le répète, le phasage, c'est évident que ça ne marche pas, tonne Isabelle Picard. On préfère utiliser des mesures de compensation douteuses sans bases scientifiques seulement dans le but de laisser croire aux gens que l'on se soucie de la protection de la rainette. »

Transplantation risquée

Le projet La Futaie du sénateur Paul Massicotte, avec sa trentaine de maisons de luxe, se veut un modèle de respect de l'environnement, selon son porte-parole, l'urbaniste Bruno Bergeron. « On parle de maintien du couvert forestier, dit-il. Le promoteur s'impose ici des exigences environnementales hors du commun. »

Le projet doit être construit sur un terrain de 6 hectares, connu comme le boisé des Hirondelles, qui jouxte le parc national du Mont-Saint-Bruno. Cependant, au-delà du couvert forestier, l'enjeu de conservation le plus aigu sur le terrain est la présence de ginseng à cinq folioles.

Il ne reste plus que 50 populations viables de cette plante rare au Québec et celle du boisé des Hirondelles en fait partie.

L'été dernier, le ministère de l'Environnement a stoppé les projets du promoteur en invoquant la Loi sur la conservation du patrimoine naturel, du jamais vu sur un terrain privé.

Les biologistes du Ministère estiment que les plants de ginseng « font partie d'une occurrence se classant parmi les rares populations viables au Québec, ce qui lui confère un intérêt exceptionnel ».

Le projet La Futaie menace « directement » un tiers des plants et le Ministère demande de vérifier leur « potentiel de transplantation ». Les autres plants « risquent d'être indirectement, mais sévèrement affectés ».

On ignore si le ministère de l'Environnement compte autoriser cette transplantation. Selon certains experts, ce dernier recours serait approprié seulement dans les cas de projets d'utilité publique, ce qui ne serait pas le cas d'un groupe de maisons de luxe.

Pour la biologiste Tanya Handa, professeure à l'UQAM et vice-présidente de la Fondation du Mont-Saint-Bruno, autoriser le projet « serait un recul considérable pour la conservation au Québec ».

« Le Ministère a caractérisé cet habitat comme exceptionnel pour le ginseng, dit-elle. La notion de transplanter n'a aucun bon sens parce cela éliminerait le potentiel futur de survie de cette plante. »

Pour le maire de Saint-Bruno-de-Montarville, Martin Murray, « c'est la solution la plus facile et la plus inacceptable ».