Les gouvernements de toute couleur, de quelque persuasion idéologique sont tous porteurs du virus d'un mal pernicieux, d'apparence bénigne, mais dont les effets à long terme sont débilitants, voire délétères pour la santé démocratique de nos sociétés.

Ce mal, une «bureaucratite» aiguë, se manifeste par une fièvre du contrôle, une boulimie de planification, une grattelle de centralisation. Dès que les premiers symptômes apparaissent, les éléments sains au gouvernement, les partis d'opposition, les médias et les citoyens doivent agir vigoureusement et promptement pour enrayer l'infection.

Le projet de loi 15 du gouvernement du Québec, intitulé «Loi sur la gestion et le contrôle des effectifs des ministères, des organismes et des réseaux du secteur public ainsi que des sociétés d'État», offre un exemple patent de «bureaucratite» en incubation.

En treize courtes pages, le projet de loi 15 propose d'accorder au Conseil du trésor des pouvoirs nouveaux d'une étonnante amplitude.

Voyons un peu: «Le Conseil du trésor établit le niveau de l'effectif dont dispose chaque ministre pour l'ensemble des organismes publics dont il est responsable» (article 10).

«Chaque ministre responsable répartit en tout ou en partie l'effectif attribué par le Conseil du trésor... entre les organismes publics visés dont il est responsable et en informe ensuite le président du Conseil du trésor. Il communique également le niveau de l'effectif établi (...) aux organismes visés (article 11).»

«Une planification triennale de la main-d'oeuvre visant à optimiser l'organisation du travail doit être réalisée tous les trois ans (sic) par chaque organisme public. (...) Le ministre responsable transmet au président du Conseil du trésor la planification des organismes publics que ce dernier désigne (article 6).»

Quels sont les organismes qui devront se soumettre à cet exercice et ce contrôle?

- Tous les ministères (cela va de soi). Le projet de loi aurait dû arrêter là;

- Les commissions scolaires et donc toutes les écoles du Québec;

- Les 72 cégeps;

- L'Université du Québec et toutes ses universités constituantes;

- Les quelque 190 établissements de santé et services sociaux;

- Les 99 organismes budgétaires et autres que budgétaires;

- Les grandes sociétés d'État (Hydro-Québec, SAQ, Loto-Québec, etc.)

Rappelons que la plupart de ces organismes, au premier chef les sociétés d'État, préparent déjà des plans stratégiques triennaux, lesquels doivent recevoir l'approbation du gouvernement, qu'ils sont gouvernés par des conseils d'administration qui en revoient et approuvent les budgets, qu'ils doivent rendre public chaque année un rapport de leurs activités et de leurs résultats.

Incongru

Il serait incongru d'imposer une telle démarche de contrôle des effectifs sans lien avec les démarches de gestion et de gouvernance déjà en place.

Il faut une singulière ignorance du fonctionnement des organisations complexes pour ne pas subodorer les réactions et les comportements que suscitera une telle imposition. Comprenant bien que des diktats et des décrets ordonnant des coupures arbitraires et universelles d'effectifs suivront, tous chercheront à justifier le plus grand nombre d'employés. Le plan triennal d'effectifs, disjoint du plan stratégique et du budget, deviendra un exercice hautement politique aboutissant à des demandes collectives d'augmentation des effectifs.

Au bout du compte, ne pouvant admettre l'erreur (une bureaucratie ne se trompe jamais), il faudra augmenter la mise, ajouter des contrôles et des vérifications, demander encore plus d'information. Les ministères et le Conseil du trésor, ensevelis sous une masse de documents, émettront donc des directives générales de coupure d'effectifs sans pertinence aux véritables enjeux.

Ce gouvernement, comme tant d'autres, ne comprend pas la différence entre gouverner et gérer. Gouverner, dans ce cas précis, prendrait la forme d'une directive transmise par le ministre responsable aux organismes et leurs conseils d'administration, leur demandant d'atteindre des objectifs de réduction des coûts d'exploitation et laissant à leur initiative respective les moyens d'atteindre l'objectif.

Il ne faudrait pas que le Québec fasse la démonstration que Kafka était un optimiste et que George Orwell manquait d'imagination!