Plus de deux ans après les accords nucléaires avec l'Iran, qui ont créé une ruée des avionneurs vers ce pays assoiffé de nouveaux aéronefs, Bombardier s'apprêterait finalement à y décrocher une première commande portant sur 10 avions régionaux CRJ900.

Selon le quotidien économique iranien anglophone Financial Tribune, Bombardier pourrait annoncer d'ici un mois une entente avec les autorités de Qeshm, une île constituant une zone franche en Iran, pour l'achat de 10 avions neufs. Au prix de catalogue, cette commande serait estimée à 465 millions US.

Les autorités de l'île avaient elles-mêmes publié il y a quelques jours un communiqué faisant état de cette possible transaction. Selon une traduction obtenue par La Presse, les négociations avec Bombardier ont duré deux ans et portaient à l'origine sur 25 appareils, mais ont été limitées à 10, pour le moment, en raison de contraintes financières.

Selon le Financial Tribune, le gouvernement canadien participerait au financement de la transaction à hauteur de 100 millions de dollars. Un porte-parole d'Exportation et développement Canada a nié hier l'implication de l'organisme.

Jointe par La Presse, une porte-parole de Bombardier Avions commerciaux, Nathalie Siphengphet, a quant à elle affirmé ne pas être en mesure de faire de commentaires sur des discussions en cours.

Les 10 avions serviraient à lancer une nouvelle ligne aérienne, Fly Qeshm, qui servirait à promouvoir le tourisme sur cette île longue d'une centaine de kilomètres, dans le détroit d'Ormuz, au sud du pays.

Selon le quotidien iranien, Bombardier a soumis à l'acheteur une ébauche de contrat pour évaluation finale et signature. L'entreprise québécoise aurait de plus déjà obtenu du bureau de contrôle des actifs étrangers du département américain du Trésor les autorisations nécessaires à cette vente, compte tenu du contenu américain des appareils CRJ.

Manne iranienne

Dès la levée de certaines sanctions entraînée par les accords sur le nucléaire iranien survenus en 2015, le marché local de l'aviation a été ciblé par les entreprises occidentales en raison de son fort potentiel. Boeing et Airbus y ont rapidement décroché des contrats pouvant toucher jusqu'à 300 avions et d'une valeur potentielle de 40 milliards de dollars, selon l'Associated Press.

«L'Iran a une population très dense et une grande superficie», explique Mehran Ebrahimi, professeur au département de management et technologie de l'UQAM, spécialiste de l'aéronautique et iranien d'origine.

«L'avion fait partie de la culture iranienne, les gens se déplacent beaucoup en avion, donc le potentiel y est très élevé.»

Selon M. Ebrahimi, les besoins des lignes aériennes iraniennes ont été chiffrés à environ 400 avions au moment de la levée des sanctions. Il en resterait environ 200 à acquérir et les produits de Bombardier sont «idéaux» pour le marché et le contexte iraniens, qui requièrent de petits avions capables de voler fréquemment.

Autorités américaines

L'Iran aurait démontré beaucoup d'intérêt pour la C Series, croit M. Ebrahimi. Bombardier aurait toutefois hésité à l'inscrire sur sa liste de clients pour cet appareil. C'est que les autorités américaines auraient là aussi dû donner leur accord, qui ne peut être obtenu qu'une fois qu'on a réglé les derniers détails du contrat.

«Bombardier se disait : "Si je passe ces commandes dans ma chaîne de production et que l'autorisation est refusée, qu'est-ce qu'on fait? On ne pourra pas obtenir l'argent."»

«Comme c'est un programme qui est jeune, c'était difficile pour eux. Ils ont donc davantage poussé pour le Q400 et les CRJ», explique M. Ebrahimi.

C'est notamment ce qui aurait fait en sorte que Bombardier est toujours en attente de son premier contrat iranien, contrairement à Boeing, Airbus ou l'italienne ATR. L'absence de relations diplomatiques entre le Canada et l'Iran ainsi que le fait que le Canada met plus de temps que d'autres pays à assouplir ses règles envers l'Iran ont aussi nui.

Le président du conseil d'administration de l'entreprise, Pierre Beaudoin, s'était rendu en Iran dès avril 2016, environ deux mois après l'assouplissement par le Canada des sanctions envers l'Iran. Selon Radio-Canada, il y avait alors rencontré les autorités de l'île de Qeshm, entre autres.

«Tout est très long en Iran, sauf si ça se passe à un niveau très élevé», note M. Ebrahimi.