Les cols bleus demandent à récupérer la collecte des déchets, qui a largement été confiée au privé, afin de contrer les stratagèmes frauduleux comme celui mis au jour récemment par le Bureau de l'inspecteur général (BIG).

Hier, l'équipe de Me Denis Gallant a rendu publics les résultats d'une enquête ayant démontré qu'un entrepreneur facturait à deux arrondissements montréalais des matières résiduelles collectées sur la Rive-Sud. Le BIG a ainsi décidé de résilier deux contrats accordés à l'entreprise Services Environnementaux Richelieu.

« Seul le travail à l'interne, effectué par les employés de Montréal, permet d'éliminer ces escroqueries et de contrôler pleinement les processus et les coûts », estime Hans Marotte, conseiller syndical du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP).

Les cols bleus estiment que Montréal s'est placé en position vulnérable en leur retirant la collecte des déchets pour la confier au privé. Leur syndicat évalue qu'ils ne sont plus responsables que de 10 % de la collecte, alors qu'ils en faisaient la moitié il y a 15 ans. « Le problème, c'est le contrôle. La Ville n'est pas en mesure de contrôler le privé comme elle peut le faire avec les cols bleus. En plus, les cols bleus ont moins intérêt à faire des gimmicks », poursuit M. Marotte.

Pour l'instant, la Ville s'est montrée prudente, disant ne pas avoir l'équipement pour confier à court terme à ses cols bleus les collectes retirées à l'entrepreneur. « Je pense qu'il faut mettre des mécanismes en place et appliquer les mécanismes. Que ce soit du privé ou du public, si on n'a pas les moyens de surveiller, on peut se faire flouer », a indiqué Jean-François Parenteau, maire de Verdun et responsable des services aux citoyens au sein de l'administration Plante.

Un appel d'offres vient donc d'être lancé pour trouver une nouvelle entreprise d'ici 45 jours. En attendant, Services Environnementaux Richelieu est tenue de poursuivre la collecte. « Les gens n'ont pas à s'inquiéter, le service continue », a assuré le maire Parenteau.

Montréal est à évaluer combien le stratagème pourrait lui avoir coûté. Verdun envisage de poursuivre l'entrepreneur parce que l'arrondissement évalue avoir été privé de centaines de milliers de dollars en économies. En effet, la hausse du recyclage devait contribuer à réduire la quantité de déchets éliminés. En vertu du contrat avec l'entreprise, Verdun aurait ainsi dû recevoir une ristourne de 100 000 $ par an si le tonnage passait sous la barre des 15 900 tonnes. Or, depuis 10 ans, la collecte n'est jamais passée sous la barre des 16 120 tonnes.

DES BACS MALTRAITÉS MÈNENT À LA DÉCOUVERTE

Toute cette histoire a débuté en février 2017 quand l'arrondissement de Verdun a reçu des plaintes de citoyens mécontents de voir leurs bacs d'ordures maltraités par les éboueurs. Une surveillance des opérations avait révélé des anomalies, notamment qu'une collecte de déchets avait été effectuée en dehors des heures normales et que du recyclage avait été mélangé aux ordures.

Le dossier avait été transmis au BIG, qui a effectué une opération de surveillance plus élaborée. Ses inspecteurs ont alors découvert que les camions d'ordures ramassaient des déchets sur la Rive-Sud avant d'entamer leur collecte à Montréal. Du coup, ceux-ci étaient plus lourds au moment d'arriver au site d'élimination.

Services Environnementaux Richelieu effectuait la collecte des matières résiduelles à Verdun depuis 2008, ayant décroché un contrat de 29,6 millions sur 10 ans. La firme a aussi décroché, en décembre dernier, un contrat de 4,2 millions sur 43 mois pour effectuer la collecte dans l'arrondissement voisin du Sud-Ouest. Ces deux contrats ont été résiliés à la suite de l'enquête du BIG, qui a transmis le dossier à l'Unité permanente anticorruption.

RATÉS À LA VILLE

Le BIG souligne plusieurs ratés dans les façons de faire de la Ville, qui ont contribué à faire perdurer cette situation. La balance utilisée pour peser les camions était souvent brisée. Il n'y avait ainsi pas de vérification que la benne des camions était vide à son arrivée à Montréal. Et, bien que les camions fussent équipés de GPS pour surveiller leurs allées et venues, les données n'étaient pas utilisées. Dans son rapport, le BIG écrit que les « mesures de contrôle prévues par la Ville [...] n'ont pas été exercées avec rigueur ».

Ces constats du BIG n'ont pas surpris la professeure de l'UQAM Danielle Pilette, spécialiste des affaires municipales. « La Ville de Montréal n'a jamais réussi à imposer dans les arrondissements des façons de faire et une rigueur. Et elle risque de moins réussir que jamais sous l'administration actuelle », a-t-elle indiqué.

Danielle Pilette évalue que les lacunes relevées par le BIG concernent plus largement les responsabilités du contrôleur général ainsi que du vérificateur général de la Ville, qui manquent de ressources. « Ils s'intéressent beaucoup aux services centraux, mais beaucoup moins où il y a vraiment du danger, c'est-à-dire dans les arrondissements. [...] Et le contrôleur général me semble toujours embourbé dans des affaires qui concernent des dénonciations de personnes », dit constater Mme Pilette.

- Avec Kathleen Lévesque